Le grand déracinement
par Philippe de Villiers
Ouvrant les journées parlementaires du Groupe "Europe des Libertés et des Démocraties" au Parlement européen, Philippe de Villiers fustige le "mensonge" européen originel de la "souveraineté partagée", qui aboutit aujourd'hui à ce qu'il appelle "un système monstrueux, post-démocratique, répondant dans le triptyque d’Aristote au troisième terme qu’on n’avait jamais appliqué complètement à une telle échelle : l’oligarchie".
Les faits donnent chaque jour un peu plus raison à celui qui porta le "non" au traité de Maastricht en 1992 et à la Constitution européenne en 2005. Cette oligarchie, répète Philippe de Villiers, est au service de "l'idéologie mondialiste", qui succède "à la peste rouge et la peste brune" du siècle dernier.
Le fondateur de Combat pour les Valeurs et du Mouvement pour la France y voit la cause de ce qu'il dénomme le "grand déracinement" historique, géographique, économique, affectif, spirituel et culturel, fabriquant "un agrégat inconstitué d'individus interchangeables" devenus eux-mêmes purs produits de consommation et d'exploitation.
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Tout a commencé avec un mensonge. Le mensonge était celui de la souveraineté partagée, comme il y eut, plus à l’est, un autre mensonge : celui de la souveraineté limitée. On nous a expliqué et, hélas, les peuples y ont cru, qu’en acceptant de donner une partie de nous-mêmes pour la mettre en commun à Bruxelles, nous allions retrouver un multiple de notre souveraineté. On nous a expliqué que s’il n’y avait plus d’agriculture française, ou italienne, ou danoise, ou allemande, s’il n’y avait plus d’industrie de chaque pays, s’il n’y avait plus de services de chaque pays, de recherche de chaque pays, alors il y aurait une recherche européenne, une industrie européenne, qui affronteraient celles des Etats-Unis et demain celles de la Chine. On nous a vendu l’idée que si nous acceptions de donner nos bras et nos jambes, nous allions courir plus vite.
Voilà le mensonge ; car aujourd’hui on voit bien qu’il n’y a pas d’industrie européenne, si peu de recherche européenne, si peu d’agriculture européenne, si peu de puissance économique européenne et il n’y a plus du tout d’industrie, d’agriculture, ou de services ou de recherche nationale, en tout cas pas pour la France.
La souveraineté partagée, c’était l’idée qu’il fallait faire un geste de générosité pour devenir plus forts tous ensemble. Alors on nous a demandé d’abandonner nos souverainetés, en nous disant : « Ne vous inquiétez pas, vous allez donner vos souverainetés mais vous allez garder vos identités. » Après tout, la Pologne n’avait plus sa souveraineté sous le régime soviétique, mais elle a gardé son identité. Pourquoi pas nous… ?
On a alors construit un système monstrueux, qui est un système post-démocratique, répondant dans le triptyque d’Aristote au troisième terme qu’on n’avait jamais appliqué complètement à une telle échelle : l’oligarchie ; l’oligarchie entre les mains d’une bureaucratie cooptée, qui n’est pas un système politique mais qui est un système apolitique. C’est la première fois dans l’Histoire des hommes qu’on tente une expérience inédite, inouïe : l’absence de souveraineté ! La souveraineté n’est plus dans nos nations, elle n’est plus nulle part, puisqu’on a dispersé la potestas et l’auctoritas entre des autorités extérieures et bureaucratiques ! Un bout de la souveraineté est parti à Bruxelles, la Loi, entre les mains de la Commission ; un bout de la souveraineté est parti à Luxembourg, la Justice ; un bout de la souveraineté est parti à l’OMC à Genève, la Protection économique ; une part de la souveraineté – et quelle part de souveraineté ! – est partie à Washington à l’OTAN (alors qu’on nous expliquait qu’il s’agissait de faire une puissance militaire européenne indépendante : mensonge) et une part de la souveraineté est partie là où se trouvent toutes les organisations extérieures à l’Europe et qui aujourd’hui nous submergent. Il n’y a plus de souveraineté nulle part.
Quand on est parlementaire européen on s’habitue à tout, on a la main dans le boîtier : trois touches, trois doigts. Soixante fois, cent fois, cent cinquante fois : on ne sait plus ce qu’on vote ! Mais on se doute que derrière le doigt qui bouge, il y a un lobby germano-allemand ou franco-italien, mais nous votons à l’aveugle.
Nous sommes devenus des enfants au service d’un système monstrueux qui nous submerge mais qui ne nous dit pas quelle est son origine ni son identité.
Nous avons donné nos souverainetés et nous l’avons vécu comme une soustraction, une mutilation, une amputation ! Quand avec mon ami Georges Berthu, que je retrouve ici avec une grande joie (député européen à partir de 1994), nous avons donné notre premier combat avec Jimmy Goldsmith, avec un immense succès aux élections européennes en 1994, nous ne pensions pas qu’un jour nous aurions à aborder non seulement la question de la souveraineté mais aussi la question de l’identité ! Nous avons perdu notre souveraineté et nous sommes en train de perdre notre identité, je veux dire l’identité européenne. Tout ce qu’on nous a vendu comme un rêve s’est brisé, s’est brisé sur le réel. On nous a vendu la croissance, on nous a vendu l’emploi, on nous a vendu avec l’euro la convergence monétaire ; et nous avons le chômage, la décroissance et la stagnation. Le système de l’absence de souveraineté est ancré sur une idéologie qui s’appelle le mondialisme.
Qui osera nommer la nouvelle idéologie qui a succédé à la peste rouge et la peste brune du XXe siècle ? Cette idéologie, elle rassemble les contraires, les deux internationales : l’internationale communiste, qui ne veut plus de nation et qui veut unifier le genre humain, et l’internationale capitaliste, qui ne veut pas de loi, qui ne veut pas de législation protectrice, qui ne veut pas d’Etat, qui ne veut pas de Nation : c’est plus facile de commercer et d’exploiter les gens ! Ce mondialisme vise à créer une agrégation inconstituée d’atomes interchangeables à l’échelle de la planète : des individus coupés de leurs attachements vitaux et qui n’ont plus de racine.
C’est le grand déracinement : le déracinement historique, géographique, avec la nécessaire mobilité à cause de l’euro, le déracinement affectif avec la fin de l’identité sexuelle, le déracinement spirituel, le déracinement culturel. Le mondialisme est un système dans lequel ce sont les pauvres des pays riches qui subventionnent les riches des pays pauvres. Donc c’est un système qui porte deux idées majeures, qui sont deux hémorragies potentielles : l’immigration de masse et la délocalisation de masse. Regardons les choses en face, mes chers amis parlementaires européens : nous assistons à un formidable chassé-croisé qui nous détruit à petit feu ; chassé-croisé, oui : avec d’un côté l’avortement de masse et de l’autre côté l’immigration de masse.
Car cette Europe sans souveraineté est aussi et d’abord une Europe sans frontières. La frontière est un interdit moral ! Alors que la frontière, c’est un cercle d’inclusion beaucoup plus encore qu’un cercle d’exclusion ! Cette Europe de Lampedusa, cette Europe du Camp des saints, va faire de nous des petites minorités bientôt abritées dans des bantoustans ; car cette Europe du mondialisme prépare l’Europe du communautarisme. C’est une Europe du multiculturalisme !
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