La jeunesse est-elle passée à droite?
par Alexandre Devecchio, Eugénie Bastié et Vincent Tremolet de Villers
Analyse du décalage croissant entre la jeunesse de France et les partis politiques. Possibilité d'un renouvellement idéologique à gauche comme à droite.
François-Xavier Bellamy (maire adjoint de Versailles (sans étiquette), ancien élève de l'Ecole normale supérieure et agrégé de philosophie).
Gaël Brustier (docteur en sciences-politiques et membre du Parti socialiste, auteur de Voyage au bout de la droite et de La Guerre culturelle aura bien lieu)
Figarovox: Un certain nombre de signaux témoignent d'un renversement idéologique qui ferait souffler le vent à droite, notamment dans la jeunesse. Gaël Brustier, vous parlez même d'une «domination culturelle» de la droite. N'est-ce pas prématuré?
Gaël Brustier:
La première chose à noter, c'est l'extraordinaire confusionnisme idéologique de la période. Le cadre de cette confusion date de la fin des Trente Glorieuses où on a vu le consensus social-démocrate s'effriter en Europe. Il y a eu une reconfiguration des gauches et des droites, mais les droites, au sens large, ont bénéficié d'une capacité à donner un sens à l'expérience quotidienne des citoyens supérieure à celle des vieilles social-démocraties ou à la gauche radicale. C'est comme ça que Thatcher émerge et arrive à reconfigurer le conservatisme britannique, à la fois avec de l'ancien, la nostalgie de la grandeur du Royaume Uni, et puis du nouveau: une nouvelle conception de l'organisation sociale. Face à la mutation du monde les gauches sont en véritable crise.
A quoi correspond cette domination culturelle des droites en Europe?
A quoi correspond cette domination culturelle des droites en Europe?
Je soutiens l'idée que c'est la peur du déclin, l'idée que la société «occidentale» serait menacée qui détermine les paniques morales, véritables moteurs de la reconfiguration du débat public. Il y a une vague droitière en Europe, même si l'on ne peut pas mettre Geert Wilders (leader du parti populiste néerlandais PVV) et la «Manif pour tous» sur le même plan. Pourtant ils correspondent, chacun à leur manière, à des angoisses de populations différentes face à une même idée, celle du déclin supposée de la «civilisation occidentale».
François-Xavier Bellamy:
François-Xavier Bellamy:
Je suis d'accord avec Gaël Brustier pour dire qu'il y a une transformation en profondeur des catégories dans lesquelles se construit la conscience politique contemporaine.
Il est donc bien difficile de lire la domination de l'une de ces catégories traditionnelles aujourd'hui. On voit bien qu'il se passe quelque chose autour de la catégorie traditionnellement considérée comme de droite ; et cependant la conscience politique nouvelle qui émerge ne se fait pas autour des structures traditionnelles d'expression politique.
Les partis politiques de droite en Europe, et particulièrement en France, ont du mal à comprendre ce qui est en train de se passer dans la conscience politique de leur électorat.
Pour reprendre l'expression utilisée par Gaël Brustier, la situation actuelle se caractérise par une forme de «panique morale», une inquiétude qui cristallise cette reconfiguration idéologique.
Mais je crois qu'elle est d'abord due au fait que les citoyens ont le sentiment que la politique n'a plus de prise sur le réel. Dans ce discrédit jeté sur la classe politique, il n'y a pas seulement de la peur: il y a surtout un désir de refondation, l'espoir d'une nouvelle perspective, qui n'a pas encore trouvé de moyen d'expression - d'où le fait qu'il se caractérise comme inquiétude.
Comment analysez-vous le phénomène Manif pour tous? Est-ce un mai 1968 à l'envers? Le dernier cri d'un monde qui meurt? La naissance d'un Tea party à la française? La reprise en main culturelle de la droite par la rue?
François-Xavier Bellamy:
Comment analysez-vous le phénomène Manif pour tous? Est-ce un mai 1968 à l'envers? Le dernier cri d'un monde qui meurt? La naissance d'un Tea party à la française? La reprise en main culturelle de la droite par la rue?
François-Xavier Bellamy:
Rien de tout cela. Je pense là encore que nous sommes d'accord pour dire qu'on assiste à un phénomène nouveau. La conscience politique qui émerge chez la jeune génération, notamment à droite, reconduit paradoxalement toute une famille de pensée vers une forme d'héritage qui était plutôt lié à la gauche: le refus de l'individualisme, la volonté d'une liberté qui soit accolée à une exigence de responsabilité devant l'avenir, la prise en compte d'une forme d'écologie intégrale authentique et cohérente.
Une autre transformation inédite dans cette nouvelle conscience politique, c'est le primat de l'intellectuel et du culturel, qui étaient là encore, dans les dernières décennies, l'apanage de la conscience politique de gauche.
Une autre transformation inédite dans cette nouvelle conscience politique, c'est le primat de l'intellectuel et du culturel, qui étaient là encore, dans les dernières décennies, l'apanage de la conscience politique de gauche.
Au XXème siècle, les mouvements de gauche avaient compris que les mutations politiques se jouent d'abord sur le terrain culturel ; alors que la droite a toujours cru - du moins une partie de la droite, celle qui est aujourd'hui institutionnellement majoritaire - au primat de l'économie dans la vision politique. De ce point de vue-là, une évolution très profonde est en train de se jouer à droite: à la faveur des récents débats de société, toute une partie de l'opinion prend conscience de l'importance déterminante de l'engagement culturel.
Gaël Brustier:
Gaël Brustier:
La Manif pour Tous est un vrai mouvement social, complet qui a ses intellectuels, ses réseaux économiques, ses cadres politiques, ses nouveaux venus et ses activistes.
Il fait renouer la droite avec la rue, ce qui est déjà arrivé dans l'histoire.
Comment le catégoriser? Il me semble que c'est bien un mouvement de droite: si on regarde les cadres, que ce soit les Veilleurs, les Hommen, tous ces groupes, je n'ai jamais rencontré un électeur de gauche, même si certains ont basculé politiquement.
Il y a une dimension conservatrice au sens philosophique du terme mais aussi une dimension populiste de contestation des élites (sans que ce soit péjoratif).
On a aussi une dimension clairement identitaire.
Cette question du mariage cristallise des paniques morales, des angoisses civilisationnelles.
On voit que le Front National récupère par exemple la question de la disparition des clochers de France, assez déstabilisante dans beaucoup d'endroits.
Dans ce mouvement on a des chassés croisés, comme après mai 68 où on a vu des jeunes radicaux devenir maoïstes, et des trotskistes rentrer au PS et devenir des bons sociaux-démocrates, idem là on a observé la radicalisation d'un groupe comme les Hommen et le «recentrage» apparent du Bloc Identitaire qui a refusé de participer à Jour de Colère et opère un mouvement de «respectablisation».
Une grande centrifugeuse où ce mouvement très vaste voit ses cartes rebattues à chaque instant. Cette angoisse morale est en fait une angoisse face à l'envahissement du marché, on le voit à travers la question de la PMA, la GPA, la marchandisation du vivant ont conduit à construire ce que vous appelez l'écologie humaine.
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