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lunes, 2 de enero de 2017

En 1932, la victoire des Bolcheviks est complète.


La guerre des Bolcheviks contre les paysans.

Quand il m'a été demandé de comparer l'épisode vendéen avec ce qui s'est passé en Russie, j'ai été embarrassé par la différence d'échelle. Si on garde les mêmes proportions, la Vendée ne peut se comparer qu'avec un épisode mineur pris dans une seule année et une seule province - et alors la comparaison perd tout son sens. Si on prend la Vendée comme une unité historique - préparation - conflit - victoire - l'unité correspondante sera ce qu'il faut nommer la guerre des Bolcheviks contre les paysans qui dure de 1918 à 1933 et dont le théâtre est toute l'URSS

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Je décrirai d'abord cette guerre, puis je tenterai une comparaison.

1 . Avant que le conflit ne s'engage, comment se présentaient les futurs adversaires?

De février à Octobre 1917, la paysannerie russe, à la faveur de l'anarchie, de la désertion massive des soldats, l'une et l'autre favorisée par les mots d'ordre bolcheviks, avait atteint ses buts ancestraux. La propriété noble fondait régulièrement depuis un demi-siècle, et à un rythme très rapide dans les dix dernières années de l'ancien régime. Le peu qui en subsistait nourrissait les convoitises et celles-ci en grossissaient l'importance. Elle fut saisie et partagée. Mais un autre phénomène, cette fois non pas seulement économiquement mais socialement régressif, fut concomitant : une remontée des structures collectives de la paysannerie, une reconstitution rapide de la commune rurale et de son organe délibératif, le mir. La commune, qui ne regroupait plus que 50% des paysans en 1913, en regroupait 95% en 1928. C'est-à-dire qu'en quelques mois, les dix ans de la réforme stolypienne furent effacées.L'exploitation individuelle, gage d'une économie de marché moderne, eût réclamé, selon Stolypine, vingt ans pour s'enraciner. Elle n'eut pas dix ans et fut effacée. La commune rurale resurgit d'autant plus fort qu'elle parut être aux yeux des paysans l'unique structure refuge capable de les protéger. Nous allons voir que c'était une illusion.

En face des paysans se tient, depuis le putsch d'octobre, le parti bolchevik.

La tradition révolutionnaire russe, l'intelligentsia, avait développé envers le monde paysan deux vues contraires. D'une part il était le Peuple, le Narod par excellence, l'âme du pays, souffrante patiente : d'autre part, il était le peuple "noir", retardataire; stupide, réfractaire à l'idée révolutionnaire, obstacle au progrès.

Marx avait parlé de "l'idiotie de la vie rurale", Plekhanov, renchérissait : les laboureurs barbus, cruels et sans merci, bêtes de somme" et Lénine : "la sauvagerie de la vie rurale". Il ajoutait qu'au fond le paysan, loin d'être collectiviste, était d'instinct "férocement et mesquinement individualiste". Pour Staline selon Khrouchtchev, "les paysans étaient de la merde".

De bien plus de conséquence que ce mépris était l'analyse radicalement fausse que Lénine et à sa suite le bolchevisme appliquaient à la paysannerie. C'était du marxisme à la russe. Il prévoyait donc que l'agriculture russe socialiste serait fondée sur le plan et les grandes coopératives mécanisées. Il voyait avec horreur le succès possible de la réforme stolypienne. Pour la combattre, il comptait sur une alliance du "prolétariat et du "paysan pauvre". Il en déduisait des distinctions de classes ou de niveau économique dans la paysannerie parfaitement imaginaire. En particulier, il construisait de toute pièce un être diabolique, siège du mal à la campagne, vampire du paysan, suppôt du capitalisme bien que n'ayant aucune existence objective, le Koulak. Quand une conception faussée de la réalité, une fois douée de pouvoir, prétend s'appliquer à la réalité. elle agit comme une broyeuse d'où coule le sang humain. La cause ultime du désastre dont je dois parler est donc une idée inepte s'emparant de cerveaux ineptes ou rendus tels par cette idée. Grand mystère . Mais il explique que Dzerjinski, dès 1917, admettait que pour construire le socialisme, il serait nécessaire "d'exterminer quelques classes" et Zinoviev "d'annihiler" dix millions de russes sur cent.

2 La première phase de la guerre se déroule de 1918 à 1921. Comme il n'y avait, avant la révolution que quatre cent quatre-vingt quatorze paysans qui eussent adhéré au parti bolchevik, celui-ci admit dès mai 1918, par la bouche de Sverdlov, qu'il convenait de créer un "conflit de classe" dans le village, puisque celui-ci était incapable de le générer spontanément. La méthode fut le système des réquisitions : il établissait que l'Etat avait le droit de prendre aux paysans ce dont il avait besoin, sans avoir à tenir compte de ce dont les paysans eux, avaient besoin. Pour assurer les réquisitions, on créa partout des comités de paysans pauvres" composés non pas en majorité de paysans pauvres mais d'activistes communistes, venus des villes au nombre de cent vingt-cinq milles.

Dans toutes les régions, on prit des otages, par groupe de vingt à trente, responsables sur leur vie.

La doctrine du communisme de guerre, prévoyait que l'abolition de la monnaie était l'indice même du nouvel ordre social. La réquisition ou en termes marxistes, l'abolition des relations du marché, devenait l'essence même du socialisme. Du point de vue paysans, cette doctrine signifiait qu'on prenait le grain sans le payer. Aussi les paysans entrèrent-ils en résistance.

La guerre des paysans, par les effectifs engagés et par le danger qu'elle fit courir au pouvoir bolchevik, fut plus universelle et massive que la guerre civile. Les paysans ne pouvaient s'appuyer sur les généraux blancs qui, sauf Wrangel, n'acceptaient pas "le partage noir" des terres de 1917 et qui réquisitionnaient aussi pour les besoins de leurs armées. Ils prirent pour chefs ceux qui voulaient bien les commander, des socialistes-révolutionnaires, des anarchistes, des cadets. On enregistre au moins trois cents soulèvements sur le territoire bolchevik seulement. Les armées paysannes étaient capables de réunir quarante mille hommes sous Antonov, un S.R., quarante mille encore sous Makhno "anarchiste", vingt mille sous Grigoriev, et disposaient de canons et même de trains blindés. En face, les généraux bolcheviks les plus célèbres, Toukhachevski, Frounzé, Yakir, menaient la grande guerre avec tous les moyens techniques disponibles et une guerre sauvage, sans prisonniers. Mais l'armée rouge, composée après tout de paysans, n'était plus sûre. En mars 1921, le collapsus du pays arrivait au point de mettre en danger le pouvoir soviétique : Lénine décréta donc la trêve qui prit le nom de NEP A cette date un quinzième de la population, près de dix millions avait péri, par le fer et par le feu, par le choléra et le typhus, et surtout par la famine. Comme dans l'Allemagne de la guerre de Trente ans, l'ordre social et économique était entièrement ruiné. Aussi, en 1921, une famine se déclara sur la Volga, qui ne fit que cinq millions de morts supplémentaires, grâce à la mission Hoover qui put sauver quelques dix millions d'affamés. Lénine laissa opérer la Mission Hoover, quitte ensuite à faire fusiller la plupart des citoyens soviétiques qui avaient collaboré avec elle. De 1914 à 1917, pendant la grande guerre, l'empire russe s'était accru de huit millions d'habitants. Mais de 1918 à 1922, il en perdit quinze millions.

3 La deuxième phase de la guerre se prépara dès 1928. Le parti bolchevik n'avait jamais considéré la NEP autrement que comme une trêve, " un Brest Litovsk paysan, comme disait Riazanov, aussi nécessaire à cause du rapport des forces que le traité de Brest-Litovsk conclu avec l'Allemagne. La question était d'évaluer l'évolution de ce rapport de force. Pendant la trêve, l'agriculture soviétique se rétablit remarquablement vite. D'autre part, le parti augmentait en nombre, renforçait sa discipline, contrôlait sans partage les villes, les usines, l'école, les média, les intellectuels. On a beaucoup épilogué sur les divergences internes du Parti, sur une ligne droitière, représentée par Boukharine, une ligne gauchiste, avec par exemple, Préobrajenski ou Trotski, un centre où Staline avait soin de se placer. En regard de la paysannerie, il ne faut pas exagérer le désaccord. Tous veulent élargir le secteur étatisé, aucun ne s'est réconcilié avec l'économie de marché. La seule question est de savoir quand et comment reprendre l'offensive.

Dans cette prise de décision, les arguments les plus forts venaient encore de fausses analyses. La preuve qu'il fallait hâter le socialisme fut d'abord "la crise des ciseaux". Elle ne provenait pas de ladite crise, d'une malédiction du capitalisme mais tout simplement de la politique économique suivie qui consistait à baisser autoritairement les prix agricoles et à hausser les prix industriels. En 1928, vint la seconde preuve : la crise des grains. Ce n'était pas non plus une vraie crise mais un simple déséquilibre, pas très grave, que le jeu du marché ou une politique fiscale sensée aurait pu résoudre facilement. Il aurait suffi de relever le prix du blé à un niveau réaliste. Mais cette "crise" servit de déclencheur à des mesures d'urgence, c'est-à-dire à un certain retour à la méthode des réquisitions avec envoi de trente mille activistes à la campagne. Le parti (la pseudo-droite boukharienne ayant capitulé) comprenait que l'heure décisive approchait. Mais puisqu'il était bolchevik, il fallait que la guerre contre le village fût "préparée politiquement" c'est-à-dire qu'elle fût présentée comme une guerre civile interne au village. Il fallut aussi créer de toutes pièces un dispositif imaginaire qui opposait le "paysan pauvre" prétendument assoiffé de collectivisation, au "koulak" avec entre les deux un "paysan moyen" tiraillé des deux côtés. En décembre 1929 Staline prononça le mot d'ordre fatal : "Nous avons passé d'une politique consistant à limiter la tendance exploiteuse des koulaks en tant que classe". Mais qui sont les koulaks Il faut distinguer le koulak réel du koulak métaphysique.

Le koulak naturel représente entre 3% et 5% de la population paysanne. Il n'a pas de définition formelle, mais en moyenne il a deux ou trois vaches, un dizaine d'hectares de labours pour une famille de sept personnes. Dans cette campagne devenue très égalitaire, son revenu n'est pas plus 50% supérieur à celui du paysan pauvre. En revanche, il produit 20% de la récolte des grains.

Le koulak métaphysique n'a que des rapports de coïncidence avec le koulak naturel. Il est par essence un ennemi de classe, un groupe sous-humain. Grossman, écrivain juif, affirme avec raison que le koulak est sous Staline ce que le juif est sous Hitler : une race maudite. Une fois dépouillé, il ne devient pas un "paysan pauvre", il reste koulak. Il ne peut s'embaucher comme ouvrier d'usine. Il ne peut s'enrôler dans l'armée. Quand les enfants n'étaient pas déportés avec leurs parents, ils erraient dans les champs et personne n'avait le droit de les recueillir. Ils moururent par milliers, comme des lièvres, dans le creux des sillons.

La liquidation des Koulaks se fit selon la méthode des quotas, c'est-à-dire que pour remplir "le plan" on rafla n'importe qui, y compris des paysans "moyens" et "pauvres". Ces opérations échappèrent à tout contrôle et se firent dans une orgie de cruauté, de rapine et de dénonciation. Les historiens - y compris des sympathisants soviétiques comme Mosché Levin - s'accordèrent sur un chiffre de dix à quinze millions de déportés. Une grande partie fut jetée dans les marais ou les forêts sibériennes, sans outils, sans vivres. L'hiver venait et ils mouraient. Un cas entre autres : des dizaines de milliers, furent débarqués à Magadan, avec gardiens et chiens de garde. Trois mois après, tout le monde était mort, y compris les gardiens et les chiens. Je ne peux détailler. On s'accorde à penser qu'un quart des déportés ont péri, avec une très grande proportion d'enfants.




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