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sábado, 11 de abril de 2015

Deux cents ans nous séparent de ces journées de la fin mars 1815 quand le carrosse du vicomte de Chateaubriand traverse l’Artois en direction de la Flandre...


Chateaubriand entre le Lys et l’Aigle


par Benjamin Fayet

Le Lys des Bourbons et l’Aigle de Bonaparte sont deux emblèmes pour lesquels la plume de Chateaubriand s’est usée, mais aussi deux symboles des évolutions politiques de cette statue du commandeur de la littérature française.

Deux cents ans nous séparent de ces journées de la fin mars 1815 quand le carrosse du vicomte de Chateaubriand traverse l’Artois en direction de la Flandre. Cette région, où, quelques mois plus tard, va se jouer le destin de l’Europe aux alentours du petit village de Waterloo. L’auteur malouin rejoint ce printemps là le roi Louis XVIII qui a fui sa capitale face à l’Aigle napoléonien de retour d’exil. Dans cette fuite, Chateaubriand est alors à mi-chemin entre les deux hommes phares de ses engagements littéraires et politiques.

Comprendre la Révolution

L’œuvre de Chateaubriand est une passerelle entre deux siècles. Il incarne l’attachement à une tradition ancestrale tout en annonçant le siècle à venir et son romantisme naissant. Cet esprit contradictoire, éminemment aristocratique, pur produit de l’Ancien Régime agonisant, a toujours navigué entre des rives opposées, profondément porté par le flot de l’histoire de France. L’homme est à bien des égards insaisissable, l’âme toujours empreinte de passions opposées. Ainsi, sa jeunesse le jette dans une sensibilité rousseauiste qui ne l’empêche pas ensuite de devenir le chantre de la religion dans Le Génie du christianisme. Son engagement politique est animé par sa soif de liberté qui n’a d’égale que son désir d’autorité. Une contradiction que souligne également Sainte-Beuve qui le considère comme un « Épicurien à l’imagination catholique ».

Alors jeune homme, il aborde la Révolution en noble libéral, l’esprit façonné par une foi sincère mais également par sa passion pour l’œuvre de l’auteur des Confessions. Malgré sa bienveillance pour les idées nouvelles, il est le témoin horrifié des troubles révolutionnaires qui brisent ses espoirs de voir les États généraux permettre une monarchie réformée. Il est contraint de fuir la France, empoisonnée par le venin de l’anarchie, et décide de rejoindre le Nouveau Monde. Ce voyage étanche la soif de voyages et d’aventures du jeune Breton élevé sur le rivage de la côte armoricaine, le regard tourné vers le large.

De retour en Europe, il s’installe en Angleterre et rédige en 1797 son premier ouvrage politique Essai sur les Révolutions. L’exilé produit une analyse objective des événements qui déchirent son pays. Selon lui, l’idée de « progrès » n’est qu’un leurre et l’Histoire n’est qu’une éternelle répétition. Par l’étude des révolutions passées, il tente de prévoir l’issue de cet embrasement révolutionnaire qui consume la France. Cet essai n’est cependant pas motivé par la haine et par un esprit de revanche envers la Révolution. Conscient de la fatalité de l’Histoire des hommes, il écrit sans passion avec le détachement qui sied au médecin qui diagnostique un malade : « Un homme bien persuadé qu’il n’y a rien de nouveau en histoire perd le goût des innovations, goût que je regarde comme un des plus grands fléaux qui affligent l’Europe dans ce moment. L’enthousiasme vient de l’ignorance ; guérissez celle-ci, l’autre s’éteindra ; la connaissance des choses est un opium qui ne calme que trop l’exaltation. »

Chateaubriand a été confronté directement à la haine de la foule des premières grandes journées révolutionnaires. Les têtes décapitées brandies devant lui l’ont détourné très rapidement de tout enthousiasme envers le vent de liberté levé en 1789. Il comprend alors les risques de dictature lorsque ce sont les piques des faubourgs parisiens qui mènent la vie politique. Il est conscient que la démocratie est un idéal politique incontestable mais il reste persuadé que la corruption des hommes la rend absolument impraticable. Le cœur l’a poussé un temps vers l’idée de république mais la raison le ramène vers la fidélité à la monarchie.


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