Finkielkraut, Le Goff, Delsol:
qu'est ce que le conservatisme?
Par Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est sociologue (Ph.D). Il est chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal ainsi qu'à la radio de Radio-Canada. Il est l'auteur de plusieurs livres, parmi lesquels «Exercices politiques» (VLB, 2013), «Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois» (Boréal, 2012) et «La dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire» (Boréal, 2007).
À son émission Répliques, Alain Finkielkraut se demandait récemment comment peut-on être conservateur? Question aussi étrange que fondamentale, posée au sociologue Jean-Pierre Le Goff et au philosophe britannique Roger Scruton. Les deux convenaient de la difficulté de penser le conservatisme dans une époque qui veut nous convaincre des vertus de la marche forcée vers la modernité, même s'ils convenaient de sa nécessité. Dans L'ingratitude, un très beau livre de 1999, Finkielkraut observait déjà que le conservatisme, dans notre monde, est davantage une indignation qu'une accusation. Il vaut la peine de citer longuement un beau passage de ce livre qui saisit très bien l'esprit de l'époque.
Dans L'ingratitude, un très beau livre de 1999, Finkielkraut observait déjà que le conservatisme, dans notre monde, est davantage une indignation qu'une accusation.
«Mais le conservatisme n'est plus une opinion ou une disposition, c'est une pathologie. […] «Réforme» est le maître mot du langage politique actuel, et «conservateur» le gros mot que la gauche et la droite s'envoient mutuellement à la figure. Concept polémique, le conservatisme n'est plus jamais endossé à la première personne: le conservateur, c'est l'autre, celui qui a peur, peur pour ses privilèges ou pour ses avantages acquis, peur de la liberté, du grand large, de l'inconnu, de la mondialisation, des émigrés, de la flexibilité, des changements nécessaires. […] Tous les protagonistes du débat idéologique, aujourd'hui, sont des vivants qui se traitent mutuellement de morts, et la nostalgie, d'où qu'elle vienne, est systématiquement qualifiée de frileuse».
Cette question se pose évidemment de manière particulière en France, qui n'a pas, à proprement parler, de tradition conservatrice, ou du moins, qui ne l'assume pas comme telle et surtout, où à peu près personne, ne revendique une telle étiquette. Mais il se pourrait bien que la situation change peu à peu, et qu'on assiste à l'émergence d'un mouvement conservateur conscient de lui-même. À tout le moins, ce terme apparaît sous la plume de bien des auteurs, comme Chantal Delsol, Vincent Coussedière, Élisabeth Lévy, ou Bérénice Levet, qui utilisent ce terme pour nommer une sensibilité renaissante devant les excès d'une modernité au visage de plus en plus déshumanisant, même si le système médiatique fustige aisément cette inquiétude.
Le conservatisme français a désormais une base populaire qui se mobilise autour des enjeux sociétaux. Ce n'est pas surprenant, ils représentent aujourd'hui une nouvelle ligne de fracture qui se constitue autour de ce qu'on appelle la question anthropologique. Il ne faudrait toutefois pas faire l'erreur de définir le conservatisme comme une droite morale. Non seulement parce qu'il ne saurait s'y réduire, mais surtout, parce que l'essentiel n'est pas là. D'un pays à l'autre, le conservatisme ne se concrétise pas par les mêmes questions, mais il est toujours traversé par une même intuition: la modernité laissée à elle-même décharne l'homme, en le condamnant à l'individualisme absolu, comme si son émancipation devait se laisser avaler par un fantasme de l'autoengendrement.
Par Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est sociologue (Ph.D). Il est chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal ainsi qu'à la radio de Radio-Canada. Il est l'auteur de plusieurs livres, parmi lesquels «Exercices politiques» (VLB, 2013), «Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois» (Boréal, 2012) et «La dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire» (Boréal, 2007).
À son émission Répliques, Alain Finkielkraut se demandait récemment comment peut-on être conservateur? Question aussi étrange que fondamentale, posée au sociologue Jean-Pierre Le Goff et au philosophe britannique Roger Scruton. Les deux convenaient de la difficulté de penser le conservatisme dans une époque qui veut nous convaincre des vertus de la marche forcée vers la modernité, même s'ils convenaient de sa nécessité. Dans L'ingratitude, un très beau livre de 1999, Finkielkraut observait déjà que le conservatisme, dans notre monde, est davantage une indignation qu'une accusation. Il vaut la peine de citer longuement un beau passage de ce livre qui saisit très bien l'esprit de l'époque.
Dans L'ingratitude, un très beau livre de 1999, Finkielkraut observait déjà que le conservatisme, dans notre monde, est davantage une indignation qu'une accusation.
«Mais le conservatisme n'est plus une opinion ou une disposition, c'est une pathologie. […] «Réforme» est le maître mot du langage politique actuel, et «conservateur» le gros mot que la gauche et la droite s'envoient mutuellement à la figure. Concept polémique, le conservatisme n'est plus jamais endossé à la première personne: le conservateur, c'est l'autre, celui qui a peur, peur pour ses privilèges ou pour ses avantages acquis, peur de la liberté, du grand large, de l'inconnu, de la mondialisation, des émigrés, de la flexibilité, des changements nécessaires. […] Tous les protagonistes du débat idéologique, aujourd'hui, sont des vivants qui se traitent mutuellement de morts, et la nostalgie, d'où qu'elle vienne, est systématiquement qualifiée de frileuse».
Cette question se pose évidemment de manière particulière en France, qui n'a pas, à proprement parler, de tradition conservatrice, ou du moins, qui ne l'assume pas comme telle et surtout, où à peu près personne, ne revendique une telle étiquette. Mais il se pourrait bien que la situation change peu à peu, et qu'on assiste à l'émergence d'un mouvement conservateur conscient de lui-même. À tout le moins, ce terme apparaît sous la plume de bien des auteurs, comme Chantal Delsol, Vincent Coussedière, Élisabeth Lévy, ou Bérénice Levet, qui utilisent ce terme pour nommer une sensibilité renaissante devant les excès d'une modernité au visage de plus en plus déshumanisant, même si le système médiatique fustige aisément cette inquiétude.
Le conservatisme français a désormais une base populaire qui se mobilise autour des enjeux sociétaux. Ce n'est pas surprenant, ils représentent aujourd'hui une nouvelle ligne de fracture qui se constitue autour de ce qu'on appelle la question anthropologique. Il ne faudrait toutefois pas faire l'erreur de définir le conservatisme comme une droite morale. Non seulement parce qu'il ne saurait s'y réduire, mais surtout, parce que l'essentiel n'est pas là. D'un pays à l'autre, le conservatisme ne se concrétise pas par les mêmes questions, mais il est toujours traversé par une même intuition: la modernité laissée à elle-même décharne l'homme, en le condamnant à l'individualisme absolu, comme si son émancipation devait se laisser avaler par un fantasme de l'autoengendrement.
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