La Russie, par-delà l’Europe ?
par Alexandre Latsa
- A la fin de l’année 2010, j’écrivais un texte intitulé Moscou, capitale de l’Europe dans lequel j’appelais à la réalisation d’un projet politique reposant sur la création d’une entente approfondie entre Paris, Berlin et Moscou.
- Une entente des nations dominantes du continent afin de permettre la réalisation du projet français d’union continentale, un demi-siècle après qu’il ait été formulé par le Général De Gaulle.
- Ce projet aurait eu le double intérêt historique et géopolitique de permettre le rapprochement de l’Europe de l’Ouest et de la Russie mais aussi et surtout de permettre le renforcement d’une forme d’équilibre et de multipolarité au sein de l’hémisphère nord.
- Près de quatre ans après la publication de ce texte, il semble que la chance de voir se réaliser ce moment historique, destiné à permettre l’émergence d’un monde multipolaire et donc d’équilibre des puissances, soit totalement passée.
Le problème du modèle Occidental
Mais à la différence de cet intervalle historique de moins d’un demi-siècle, si le monde Occidental a accentué son extension territoriale, politique et miliaire à l’Est et vers l’Est, il est désormais considérablement affaibli, ruiné et surtout sans nouveau modèle à proposer autre que celui de l’après-guerre froide, fortement mis à mal par la crise de 2008.
Le bloc de l’Est en constitution est lui concentré autour d’une Russie qui a désormais de nouveau les moyens de ses ambitions mais aussi et surtout dispose d’une élite ayant une stratégie définie et une forte volonté politique. Une élite qui a clairement défini les objectifs stratégiques qu’elle entend affirmer et ambitionne de plus en plus clairement le développement de son propre modèle, un modèle que la Russie entend faire rayonner au cœur du « Monde russe ».
Si les événements en Géorgie en 2008 puis en Crimée en 2014 ont démontré que Moscou ne souhaitait définitivement plus se voir imposer la géostratégie de son étranger proche, un autre grand changement stratégique semble s’être lentement mais sûrement opéré au sein des élites russes au cœur des dernières années et notamment depuis le début du troisième mandat de Vladimir Poutine.
Un changement survenu lors de la dernière réunion du club de Valdaï pour l’analysteAlexandre Rhar, puisque Vladimir Poutine y a utilisé une rhétorique très conservatrice et montré qu’il préparait la Russie à autre chose et notamment au fait qu’elle n’appartient pas à l’Ouest, comme c’était plus ou moins admis jusqu'à récemment.
Le retour de l’idéologie en Russie ?
Ce changement structurel semble se traduire par la certitude que la Russie n’aspire désormais plus à rattraper l’Occident sur le plan moral, sociétal ou culturel, comme ce fut systématiquement le cas depuis 1991. Moscou a visiblement pris l’initiative de clairement accentuer la tendance à la rupture en insistant désormais clairement sur les différences de civilisation entre la Russie et l’Ouest. Les autorités russes viennent à ce sujet de confier au ministère de la Culture (dirigé par Vladimir Medinski) l’élaboration d’une nouvelle politique culturelle qui permet de mieux comprendre le contour civilisationnel que la Russie souhaite s’attribuer et donc la direction que devrait suivre sa géopolitique du futur proche.
Le rapport semble déterminer la fin du processus entamé en 1991 à la chute du mur, concrétisé au sein de la constitution de 1993 qui affirmait qu’aucune idéologie ne pouvait être désormais établie comme idéologie d’Etat.
Axé sur le thème global « La Russie n'est pas l’Occident, l'Europe ni l’Orient », le rapport définit la Russie comme une civilisation distincte, avec ses modes de fonctionnements propres, comme une civilisation complexe et multiforme. Une définition que l’on peut rapprocher duterme utilisé par Vladimir Poutine lors de ce même dernier sommet de Valdaï, lorsqu’il avait qualifié la nature de l’Etat civilisation russe de « complexité florissante » (Цветущая Сложность), une expression créée par l’un des pères de l’Eurasisme politique et philosophique, Constantin Leontiev .
Vers l’apparition d’un modèle russe ?
Le rapport définit cette « culture » comme l’ensemble des valeurs et des normes de conduite contenues dans le patrimoine culturel et historique, matériel et immatériel. La culture y est également définie comme le cadre unificateur de la société russe et la manifestation du code civilisationnel du pays.
Le rapport constate l’échec du système civilisationnel communiste comme du modèle libéral-occidental post-communiste mais affirme qu’au travers de ces différentes périodes, le « noyau civilisationnel » de la Russie est restée inchangé, ce qui témoigne de sa continuité, terme sur lequel le rapport insiste.
Le modèle occidental fondé sur la tolérance et le multiculturalisme y est clairement rejeté, le rapport préconisant lui une immixtion accrue de l’Etat au sein du management de la politique culturelle et surtout au sein des relations interculturelles, interreligieuses et interethniques afin de favoriser l’unité du pays et protéger le pays des vagues d’agression informatives (un rapport avec les récentes accusations russes contre le bureau de l’Otan accusé de zombifierla jeunesse russe ?) qui détruisent son identité, menacent sa souveraineté culturelle, entravent le développement humain, détruisent son héritage, le ridiculisent et le dénaturent.
Signe de la défiance lourd envers le modèle européen le ministre de la Culture, Vladimir Medinski s’est également félicité du fait que la Russie ne « devienne pas une seconde hollande, ce pays où l’on légalise le mariage pour tous et on l’on fume de la marijuana ». Il a également critiqué et lourdement remis en question le modèle d’intégration à la française selon lui en plein échec.
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