« L’Europe est le continent malade du monde »
PAR CARL MOY-RUIFEY, FLORIMOND
Entretien accordé par monsieur Rémi Brague, philosophe et professeur d’université à Florimond et Carl Moy-Ruifey. Rémi Brague a reçu le prix Ratzinger pour la théologie en 2012. il est notamment l’auteur d’Europe,
la voie romaine, et du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres.
Le R&N : Vous avez reçu l’an passé le prix Joseph-Ratzinger pour la théologie. Et votre première réaction a été celle de l’étonnement, car vous avez toujours refusé une étiquette de théologien, préférant vous définir par ce que vous êtes vraiment, un philosophe. Mais c’est dire à quel point vous entendre parler de Dieu intéresse les théologiens. Qu’est-ce qu’un philosophe a à dire de Dieu ?
Rémi Brague : En effet, j’ai été bien entendu très flatté, mais encore plus surpris de recevoir ce prix, en même temps que le P. Brian Daley, s.j. qui, lui, est un théologien patenté.
Je n’ai jamais eu à refuser l’étiquette de théologien, parce que personne n’a jamais songé à me l’attribuer, et pour d’excellentes raisons. Il se trouve que je prends la théologie très au sérieux comme une discipline universitaire qui s’étudie et s’enseigne. Or, je n’ai jamais suivi d’études de théologie. J’ai enseigné onze ans dans un pays, l’Allemagne, où les théologies, catholique et protestante, sont enseignées à l’Université. On y trouve des gens très savants, que leurs collègues respectent pour leur vaste savoir et la profondeur de leur réflexion, même si ces collègues ne partagent pas leur foi, voire s’ils n’ont pas de religion du tout. Il en est de même, d’ailleurs, aux États-Unis.
Les philosophes ont toujours parlé de Dieu, ou au moins du divin, dès l’origine et jusqu’à nos jours. Que ce soit pour affirmer son existence ou au contraire pour la nier ; pour accepter le dieu des Chrétiens ou au contraire pour lui préférer d’autres figures du divin. Les théologiens ont toujours écouté les philosophes, ou coiffé eux-mêmes la casquette de philosophe. Regardez la façon dont Thomas d’Aquin a lu Aristote et les philosophes arabes, musulmans comme juifs, tout en élaborant lui-même les outils philosophiques dont il avait besoin.
La première chose qu’un philosophe essaie de faire, c’est de définir avec précision le mode d’approche qui permet d’accéder à un phénomène. On n’a pas accès à des choses comme à des concepts, à des théories comme à des personnes, etc. Là où il s’agit de Dieu, le philosophe sait qu’il n’aura accès, dans le meilleur des cas, qu’à un concept, et pas à une personne. Pour celle-ci, il faut enclencher une vitesse supérieure dont il ne dispose pas en tant que philosophe. Comme tel, il ne peut, selon votre formule, qu’avoir des choses à dire de Dieu. Mais ce qu’il doit faire, c’est laisser Dieu lui-même dire qui Il est. Le philosophe peut tout au plus critiquer les différents bavardages sur Dieu, ceux de ses collègues, mais aussi les siens propres, par lesquels il est de bonne hygiène de commencer…
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