Les nationalistes européens sont à la Russie ce que les communistes étaient à l’Union soviétique
par Olivier Bault
(Deuxième partie de l’article publié sous le titre «Nacjonaliści, główny towar eksportowy Putina» – Les nationalistes, principale exportation de Poutine – dans l’hebdomadaire conservateur polonaisGazeta Polska du 23 avril 2014, traduit pour Nouvelles de France avec l’aimable autorisation des auteurs. Pour la première partie, consacrée au Front National français, au Jobbik hongrois et aux Ruch Narodowy polonais, lire «Les nationalistes européens au service de la Russie post-soviétique«.)
La dynamique du nationalisme européen pro-Poutine est très proche de celle qui caractérisait autrefois la gauche occidentale pro-soviétique. Dans les deux cas, le principal ennemi politique est le même. Il s’agit du principal concurrent de Moscou, c’est-à-dire les États-Unis et l’OTAN.
Quelles que soient les parties du globe concernées par les convictions géopolitiques des nationalistes en France, en Grande-Bretagne, en Grèce, en Bulgarie ou en Hongrie, ces convictions se trouvent répondre aux intérêts de la Russie : soutien inconditionnel au sanguinaire dictateur syrien Bachar el-Assad, admiration pour les mouvements islamistes (le chef du Jobbik Gábor Vona a même qualifié l’islam de «dernier espoir de l’humanité», percevant cette religion comme le dernier bastion de la tradition capable de s’opposer à une Amérique impérialiste et putride), soutien à Viktor Ianoukovytch en Ukraine et aux régimes autoritaires d’Amérique latine qui s’opposent aux USA et soutiennent l’axe Moscou-Téhéran (d’où la sympathie si souvent exprimée pour Hugo Chávez qui se référait ouvertement au communisme).
Pour les nationalistes européens, le meilleur attribut de l’allié potentiel, c’est sa haine contre le principal adversaire de Moscou et sa convergence avec les intérêts géopolitiques de la Russie, même si cet allié potentiel est islamiste ou communiste. Ses autres convictions peuvent même être en contradiction totale avec les valeurs et idées déclarées par les nationalistes (comme le christianisme, le conservatisme et les valeurs de droite). Dans ce domaine aussi, les groupes nationalistes contemporains ressemblent à l’ancienne gauche pro-soviétique qui était capable, malgré son athéisme déclaré et sa haine des religions, de soutenir des groupes fondamentalistes musulmans du moment qu’ils attaquaient «l’impérialisme américain» et soutenaient Moscou.
Une autre question rapproche les nationalistes actuels de la gauche européenne pro-soviétique. En s’adressant à ses électeurs, la gauche pro-soviétique parlait souvent des problèmes économiques réels et de l’exploitation des travailleurs en Europe. Aujourd’hui, alors que la gauche européenne fait largement partie du système politique et en est même le principal bénéficiaire, ce sont les nationalistes qui reprennent à leur compte le thème des menaces liées au fonctionnement des puissantes multinationales et aux pathologies du capitalisme contemporain, en y ajoutant une rhétorique anti-immigration.
Ce sont eux qui parlent des problèmes que l’establishement politique européen fait semblant de ne pas voir. Un autre élément rapproche enfin l’ancienne gauche pro-soviétique des nationalistes pro-Kremlin actuels. Tout comme il était absurde de présenter l’URSS comme un État modèle où les travailleurs vivaient bien et n’étaient pas exploités, il est extrêmement curieux aujourd’hui de présenter, ainsi que le font les nationalistes européens, la Russie de Poutine comme source de renouveau moral alors que c’est un pays rongé par l’alcoolisme, la toxicomanie et le recours massif aux avortements, dans lequel la décomposition de la famille en tant qu’institution progresse à grande vitesse, et où la religion est entièrement soumise à l’État et les structures ecclésiastiques sont complètement infiltrées par les anciens services secrets communistes.
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Les nationalistes européens au service de l’impérialisme de la Russie post-soviétique
(Article publié sous le titre «Nacjonaliści, główny towar eksportowy Putina» – Les nationalistes, principale exportation de Poutine – dans l’hebdomadaire conservateur polonais Gazeta Polska du 9 avril 2014, traduit pour Nouvelles de France avec l’aimable autorisation des auteurs).
Depuis les débuts de son existence, un des principaux éléments de la politique de l’empire russe a été l’entretien dans les États européens de réseaux d’agents d’influence et aussi de lien étroits avec des groupes politiques qui représentaient ses intérêts ou faisaient du lobbying pour le compte de Moscou, en échange de quoi ils obtenaient souvent des contreparties matérielles. À l’époque de l’URSS, le principal partenaire et groupe de lobbying de Moscou était bien sûr à gauche de l’échiquier politique européen. Aujourd’hui, on observe une réorientation de la Russie. Ce n’est plus l’extrême-gauche, mais les groupes politiques se définissant comme «nationalistes» ou «droite nationale» qui font l’objet des attentions du Kremlin, et ces groupes répondent volontiers à l’intérêt qui leur est porté.
Prenons les relations de Moscou avec les deux partis d’extrême-droite les plus puissants d’Europe : le Jobbik hongrois et le Front National français. Bien entendu, les sentiments très pro-Poutine ne se limitent pas à ces deux groupes nationalistes. Mais le FN et le Jobbik sont une vraie force politique dans leurs pays respectifs. Marine Le Pen (la présidente du FN) a obtenu près de 18 % des voix aux élections présidentielles de 2012 et son parti vient de connaître un réel succès lors des récentes élections municipales. Quant au Jobbik, il a obtenu 20 % des voix aux dernières élections législatives. En comparaison, les autres politiciens pro-Poutine, par exemple en Grande-Bretagne (comme Nick Griffin du Parti national britannique), sont marginaux dans leur pays.
Le cas français
L’amour du Front National pour Moscou est exprimé de manière explicite. On observe ici une continuation de l’admiration qu’avait la gauche procommuniste française pour la Russie, si ce n’est que l’objet de l’adoration est désormais autre. Il ne s’agit plus des dignitaires du parti communiste comme Staline ou Brejnev, mais de Poutine. Notons tout de même un élément commun dans les deux cas : ce sont toujours des gens liés au KGB qui font l’objet de cette fascination.
Depuis plusieurs années, Marine Le Pen demande que la France cesse de soutenir les USA et se rapproche de la Russie.1 Elle a visité en personne la Douma russe en juin 2013. Dans ses déclarations qui ont suivi, la présidente du FN décrit Poutine avec des mots normalement utilisés pour définir l’attrait masculin. C’est un homme fort, décidé, que Marine Le Pen dit admirer. Et qu’en est-il du projet géopolitique du Front National ? Une alliance franco-russe «fondée sur un partenariat militaire et énergétique approfondi». Le Pen propose aussi de remplacer l’Union européenne par une union paneuropéenne dont la Russie poutinienne serait un membre important.
La vision pro-Poutine du FN s’est pleinement révélée pendant le conflit en Ukraine.
Le père idéologique du Front National s’est réjoui du fait que la Russie de Poutine avait récupéré la Crimée. «La Crimée a toujours appartenu à la Russie», a affirmé Jean-Marie Le Pen, aujourd’hui président d’honneur de ce parti. Marine Le Pen a elle-même d’abord affirmé que la conduite du référendum en Crimée avait été irréprochable (malgré un taux de participation à Sébastopol de… 123 %) avant de soutenir l’idée lancée par Poutine de fédéraliser l’Ukraine.
Les liens entre le Front National et la Russie ne sont pas que politiques. En septembre 2012, une nouvelle chaîne de télévision a été créée, ProRussia TV, qui est une nouvelle facette du média du Kremlin La Voix de la Russie. Malgré les questions répétées des journalistes à ce sujet, cette télévision n’a pas voulu révéler les montants financiers dont elle dispose. On sait toutefois que sa télévision sœur en Allemagne n’a eu aucun problème pour mettre immédiatement sur la table plus de 3 millions d’euros afin de financer ses premières émissions. Chose importante, la chaîne ProRussia TV française emploie des journalistes liés au Front National ou même appartenant au FN (entre autres Sylvie Collet et Gilles Arnaud). Cette télévision est entièrement dominée par le type le plus cru de propagande poutinienne (y compris en ce qui concerne les attaques contre la Pologne). Les gens du FN sont aussi engagés dans nombre d’institutions dont le but est de développer les relations d’affaires entre la France et la Russie.
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