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sábado, 3 de octubre de 2015

Le Moyen-Orient est-il au bord de la déflagration ?


Bombardements russes sur les alliés américains en Syrie, incident militaire entre l’Arabie saoudite et l’Iran, retrait des Palestiniens des accords d’Oslo : le Moyen-Orient est-il au bord de la déflagration menant à la 3ème guerre mondiale ?

Entretien Atlantico avec Roland Lombardi et Rooland Hureaux

Vives tensions entre l'Iran et l'Arabie saoudite, frappes russes contre des rebelles syriens soutenus par la CIA, fin des accords d'Oslo prononcée par le ¨Président de l'Autorité palestinienne... Les tensions au Moyen-Orient s'exacerbent, et les pays arabes comme occidentaux sont tous concernés par cette situation.

Atlantico : Selon sénateur américain John McCain, des frappes russes auraient tué des rebelles syriens soutenus par la CIA jeudi 1er octobre. Ainsi, l'aviation envoyée par Moscou aurait touché le groupe syrien Souqour al-Jabal, dont les membres ont été formés par la CIA. Peut-on s'attendre à d'autres opérations controversées ? Quels sont les risques de dérapages dans la région ?

Roland Lombardi : Tout d’abord, rappelons une nouvelle fois qu’en Syrie, la stratégie de la Russie est claire : soutien inconditionnel à Bachar el-Assad, lutte contre Daech et tous les autres mouvements islamistes. Vladimir Poutine soutien Assad car, mieux informé et surtout plus réaliste que les dirigeants occidentaux, il sait pertinemment qu’il n’y a pas d’autre alternative valable au « boucher de Damas ». Aucune ! C’est peut-être déplaisant mais c’est malheureusement la seule et unique réalité. En effet, depuis presque 5 ans, aucun « commandant Massoud syrien » n’a émergé de l’Armée syrienne libre et depuis le début de la guerre civile, aucun ministre ou général du régime n’a été sérieusement pressenti pour se substituer d’une manière ou d’une autre à Bachar et son clan.

De plus, contrairement à ce que les médias occidentaux affirment, au-delà de toutes les minorités religieuses et ethniques qui composent la Syrie, Bachar el-Assad est aussi et encore soutenu par au moins la moitié de la population syrienne (même sunnite). Mais par-dessus tout, le maître du Kremlin ne veut absolument pas d’une victoire des islamistes à Damas. Les conséquences et les répercutions seraient catastrophiques dans le nord du Caucase, sur les frontières orientales de la Russie et dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Si Assad venait à tomber, les 2 000 jihadistes russes (surtout venant du Caucase), partis en Syrie combattre le régime alaouite, pourraient revenir en Russie et commettrent des actes terroristes ou tout simplement déstabiliser les régions musulmanes de la CEI. C’est dans cette même optique que la Russie (comme l’Iran d’ailleurs) apporte son soutien au gouvernement afghan dans sa lutte contre les talibans.

Pour la première fois donc, depuis l’intervention soviétique en Afghanistan de 1979 à 1989, l’armée russe intervient au Moyen-Orient. Ainsi, les avions de combat de Moscou bombardent depuis deux jours des cibles de Daech mais aussi d’autres groupes islamistes qui s’opposent au régime d’Assad. Mieux, pour les Russes, il n’y a pas d’opposants armés « modérés » et tous les groupes rebelles sur le terrain sont « des groupes terroristes ». D’ailleurs, ils n’ont pas tout à fait tort puisqu’il n’y a plus que quelques idéologues pour croire encore à l’existence de rebelles « laïcs et démocrates »… Il ne serait donc pas étonnant que l’ASL (ou ce qu’il en reste) soit aussi ciblée. John Mc Cain a sûrement raison. Toutefois, les Russes ne se gêneront absolument pas pour bombarder tous les groupes opposés à Assad, tous, sans exception, même ceux entraînés et armés par la CIA !

Certes, la France, la Turquie et l’Arabie saoudite pousseront assurément des cris d’orfraie. Mais cela ne compte pas. Poutine est un fin joueur d’échecs, il a toujours plusieurs coups d’avance, il est loin d’être un « chien fou » et sait très bien ce qu’il fait. Même lorsqu’il utilise la politique « du fait accompli », les risques sont toujours très bien calculés. Dans cette affaire, seul compte pour les Russes l’avis de l’Iran, d’Israël et bien sûr des Etats-Unis. On connaît la position et l’implication de l’Iran. On a dit et écrit beaucoup de bêtises sur le rôle de l’Etat hébreu dans la crise syrienne mais en réalité, Israël, dont le Premier ministre a été reçu à Moscou il y a quelques jours, apprécie, de manière certes discrète mais bien réelle, qu’une puissance intervienne enfin sérieusement dans le dossier syrien. Quant aux Américains, sur scène, ils se disent inquiets et émettront eux aussi des protestations officielles si des groupes rebelles qu’ils soutiennent sont attaqués. Mais en coulisse, l’administration Obama n’est sûrement pas mécontente de l’intervention russe dans le guêpier syrien…

N’oublions pas qu’aux Etats-Unis, l’efficacité des bombardements est largement discutée et que la stratégie américaine est le sujet de vifs débats politiques. Enfin, le soutien de Washington à des groupes islamistes ou clairement se revendiquant d’al-Qaida passe très mal dans l’opinion publique américaine…

Non, finalement les risques de dérapages sont minimes. Par contre, l’armée russe ne va pas faire dans la dentelle et n’ira pas de main morte. Les « dommages collatéraux » sont eux, fort possibles… Aussi, l’espace aérien syrien étant désormais très encombré, le risque de collisions entre appareils russes et de la coalition américaine est important. C’est pourquoi, pour éviter les incidents mais aussi afin de mettre en place une certaine coordination et entretenir le dialogue, des officiers russes rencontrent de plus en plus régulièrement des officiers américains mais aussi israéliens…

Roland Hureaux : John Mac Cain confirme donc que la CIA a formé des djihadistes car en fait de rebelles syriens il n'y a plus aujourd'hui que des djihadistes. Ils sont composés de deux groupes : Daesh à l'Est et Al Nosra (ex-Al Qaida) à l'Ouest. Quand on vous parle de rebelles modérés - pourquoi pas des terroristes modérés ! - n'en croyez pas un mot. Daesh et Al Nosra sont pratiquement interchangeables quant à l'idéologie.
Il est vrai que les Occidentaux (surtout les Etats-Unis et la France) ont essayé d'organiser des stages pour former à l'usage des armes des rebelles soi-disant démocrates, mais ceux qui se sont présentés étaient pratiquement tous des djihadistes camouflés qui, à peine revenus au front, se sont livrés aux pires exactions et ont apporté au djihad les armes qu'on leur avait données.
Le raisonnement des Ruses est simple et difficilement contestable : sur le terrain, il n'y a que le gouvernement syrien et les djihadistes, rien d'autre. Puisque les Etats-Unis ont engagé une croisade contre Daesh, les Russes les ont pris au pied de la lettre et ils leur disent en quelque sorte "Chiche !". Ils se sont portés de manière spectaculaire volontaires pour y participer mais avec la volonté d'aller jusqu'au bout de la démarche, ce qui signifie combattre tous les islamistes, qu'ils se rattachent officiellement à l'Etat islamique ou pas. Si vous me pardonnez cette expression ils ne veulent pas du coïtus interruptus qui caractérise la guerre faite par l'Occident à Daesh. Que les Russes aient commencé par bombarder des djihadistes autres que Daesh n'est sûrement pas une erreur, d'autant que leur premier objectif est de desserrer l'étau dans lequel est enfermé l'armée syrienne autour de Damas et que dans cette région, Al Nosra est plus présent que Daesh. En même temps, ils envoient un message clair : ils ne laisseront pas tomber le régime d'Assad, lequel a paru ces derniers temps en difficulté.

Dans quelle mesure les actions menées au Moyen-Orient par les principaux acteurs que sont notamment les Etats-Unis, la Russie, la France, la Turquie, l'Iran ou encore l'Arabie Saoudite sont-elles le reflet de règlements de comptes entre différentes puissances ? Que sait-on de leur stratégie ?

Roland Lombardi : Depuis presque 5 ans et le début des « printemps arabes », la stratégie de l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie (soutien aux Frères musulmans et aux groupes islamistes) a échoué partout, en Tunisie, en Libye, en Egypte… En Syrie, Riyad, Doha et Ankara appuient encore al-Qaida, al-Nosra et d’autres mouvements islamistes ainsi que l’ASL qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. A terme, avec l’armée russe qui entre à présent dans la danse, leur échec sera consommé et ils n’auront plus qu’à suivre l’évolution de la position des Etats-Unis vis-à-vis de la stratégie de la Russie que j’ai décrite plus haut.

La France, nous l’avons vu ces derniers jours et afin de dissuader ses partenaires d’accepter les arguments de Moscou, ne peut se contenter à présent que d’une irréaliste campagne internationale, totalement dépassée, de « Assad Bashing » : rapport « César », enquête pénale pour « crimes de guerre » ouverte par le parquet de Paris… Malheureusement, Paris ne compte plus guère dans la région, la France n’est plus écoutée et elle est finalement hors-jeu.

Quant à l’Iran, il est l’allié principal de la Russie en Syrie. Ses troupes spéciales sont très impliquées sur le terrain aux côtés de l’armée du régime et Téhéran tirera sûrement tous les bénéfices d’un éventuel succès militaire et diplomatique russe.

Enfin, les Etats-Unis combattent Daech que très frileusement. Ils craignent les dégâts collatéraux et le spectre de l’intervention désastreuse en Irak de 2003 plane encore… Par ailleurs, certains responsables américains en reviennent de leur soutien à la « rébellion » syrienne. Le Pentagone et la CIA avaient prévu d’organiser, de former et d’armer une unité de 5 000 rebelles « modérés ». Ils n’ont pu en recruter qu’une centaine qui, pour une part, se sont fait tuer, et pour l’autre, sont passés avec armes et bagages chez les jihadistes ! De fait, à chaque fois que les Américains reculent avec faiblesse sur un dossier, les Russes avancent avec force. On l’a vu hier en Crimée, en Ukraine, en Egypte et aujourd’hui en Syrie.

Roland Hureaux : Pour aucun de ceux que vous citez, sauf en partie les Russes, l'objectif véritable n'est la lutte contre l'islamisme. Malgré leurs proclamations à Paris, à Washington ou à New York, ils ne considèrent pas au fond d'eux-mêmes que ce soit là leur vrai problème. Les djihadistes sont une chair à canons qu'on instrumentalise, y compris pour effrayer le bourgeois, mais qui ne compte pas vraiment.

Pour Washington, le problème, c'est Moscou et c'est donc de contenir ou réduire l'influence russe. La Syrie est un allié de la Russie, donc il faut l'abattre, y compris en soutenant les djihadistes. En tous les cas la maintenir en position de faiblesse.

Pour Israël, le principal problème est aujourd'hui l'Iran qui est la seule puissance rivale qu'ils considèrent avoir dans la région. Or la Syrie et le Hezbollah, principale milice du Liban, lui sont alliés ; donc il faut les abattre. Que le régime d'Assad, père et fils, n'ait rien fait contre Israël depuis 45 ans qu'il est en place ne les émeut pas ; pas plus que la perspective d'avoir Daesh à Damas, soit à 200 km de Jérusalem : je parle du gouvernement, une partie de l'opinion ne réagit pas de cette manière. Ils pensent qu'un Etat organisé est toujours plus à craindre qu'une milice, fut elle fanatique, qu'ils pensent contrôler.

L'Arabie saoudite et les Etats du Golfe sont des alliés inébranlables d'Israël contre l'Iran qu'ils redoutent plus que quiconque et sont donc aussi contre la Syrie. 

La Turquie joue, elle, un jeu plus complexe : bien que membre de l'OTAN, elle n'est alignée sur personne. Mais elle est dirigée par un fanatique, plus dangereux à mon avis qu'Assad, qui a rêvé de renverser ce dernier pour que les Turcs que le colonel Lawrence avait chassé de Syrie en 1917 y reprennent pied. Mais en soutenant Daesh et Al Nosra, Erdogan s'est mis à dos les Kurdes, non seulement de Syrie mais de Turquie, qui avaient entretenu une longue rébellion sous l'égide du PKK (Parti communiste kurde). Cette rébellion s'était apaisée ; la politique d'Erdogan vient de la réveiller.

En outre Erdogan est aujourd'hui responsable de deux actions malfaisantes que, même s'il ne les a pas provoquées, ce qui reste à voir, il pouvait empêcher et ne l'a pas fait : l'afflux de volontaires pour le djihad qui arrivent du monde entier par la Turquie, le départ vers l'Europe de réfugiés syriens qui se trouvaient en Turquie depuis plusieurs mois, voire plusieurs années sous l'égide du Haut commissariat des Nations Unies. Il promet d'être désormais engagé contre Daesh, mais faut-il le croire ? 

A ces acteurs, il faut ajouter la Chine. Même si l'arrivée d'un porte-avions chinois à Tartous, base russe en Syrie, s'est avérée un bobard, ils ont là quelques bâtiments et suivent ce qui se passe. Russes et Chinois ont excédés de voir les Etats-Unis soutenir depuis des années les islamistes dans tout le monde musulman, y compris en Tchétchénie et au Sin-kiang. Et maintenant, c'est la France qui s'y met, en faisant même de la surenchère !




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