Erckmann-Chatrian:
leçons de la bataille de Leipzig en 1813
par BONNAL NICOLAS
« Maintenant tout l’univers est contre nous, tous les peuples demandent notre extermination… ils ne veulent plus de notre gloire ! »
On a beaucoup parlé de la retraite de Russie et de la Berezina, mais c’est la bataille de Leipzig et l’année 1813 qui sont importantes pour bien comprendre la chute du napoléonisme. Je n’ai aucune envie de faire une leçon d’histoire, mais en feuilletant sur ebookgratuits.com les petits classiques d’Erckmann-Chatrian que je n’avais faits qu’en dictée à l’école, je suis tombé sur le très bon Roman d’un conscrit de 1813, un de ces pauvres Français qui servirent de chair à canon pendant vingt ans à la Révolution et à l’Empire.
En une phrase, nos pacifistes et républicains alsaciens, qui écrivent pourtant sous le second empire, justifient l’impossible résistance à l’ogre napoléonien et à son culte :
Ceux qui n’ont pas vu la gloire de l’Empereur Napoléon dans les années 1810,1811 et 1812 ne sauront jamais à quel degré de puissance peut monter un homme.
L’empereur est ce pourquoi il faut mourir, un nouveau pharaon en quelque sorte.
La peur est sur toutes les lèvres : finir conscrit et en chair à canon, d’autant que l’on se rend compte que, comme pour l’Allemagne plus tard, il y aura des comptes à rendre après la défaite finale de l’empire branlant :
« Oui, je savais cela, dit-il tristement, mais ce n’est que le commencement de plus grands malheurs : ces Prussiens, ces Autrichiens, ces Russes, ces Espagnols, et tous ces peuples que nous avons pillés depuis 1804, vont profiter de notre misère pour tomber sur nous.
Certains tentent de résister à la conscription par la mutilation ; voilà qui tranche avec le culte impérial et la Grandeur de la France :
En cette année beaucoup de jeunes gens refusèrent de partir : les uns se cassaient les dents, pour s’empêcher de pouvoir déchirer la cartouche, les autres se faisaient sauter le pouce avec des pistolets, pour s’empêcher de pouvoir tenir le fusil ; d’autres se sauvaient dans les bois, on les appelait les réfractaires, et l’on ne trouvait plus assez de gendarmes pour courir après eux.
Un personnage plus lucide explique que maintenant ce sont les Allemands et les peuples d’Europe qui ont le Droit pour eux (même s’ils ne savent pas encore qu’ils ne font que servir un Ancien Régime qui mettra encore cent-cinquante ans – selon l’historien contemporain Arno Mayer – à disparaître complètement (c’est du reste aussi ce que pense Kojève) :
Aujourd’hui, c’est bien différent ; toute l’Allemagne va marcher, toute la jeunesse va se lever, et c’est nous qui parlerons de Liberté, de Vertu, de Justice à la France. Celui qui parle de ces choses est toujours le plus fort, parce qu’il n’a contre lui que les gueux de tous les pays, et parce qu’il a pour lui la jeunesse, le courage, les grandes idées, tout ce qui vous élève l’âme au-dessus de l’égoïsme, et qui vous fait sacrifier la vie sans regret.
Un vieux soldat, Zimmer, est lui partisan de la manière forte pour soumettre ce qui reste de l’Europe occupée :
« Au lieu de nous ordonner de respecter les populations, on devrait nous laisser pleins pouvoirs sur le monde ; alors tous ces bandits changeraient de figure et nous feraient bonne mine comme en 1806. La force est tout…, et alors les gens vous donnent tout par force : ils vous dressent des arcs de triomphe et vous appellent des héros, parce qu’ils ont peur. Voilà !
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