Individualisme moderne et recherche spirituelle
Entretien avec Jean-Pierre Le Goff
Dans votre dernier livre, vous menez une analyse critique de ce vous appelez les «nouvelles formes de religiosité diffuses». Vous êtes un des rares sociologues à affronter cette spiritualité évanescente, alors que c’est à la mode et très rarement contesté. Comment expliquez-vous que cette spiritualité évanescente connaisse un tel succès ?
Il faut d’abord relier ces religiosités diffuses à deux traits caractéristiques de l’individualisme contemporain, qui s’alimentent l’un l’autre. D’un côté, la course perpétuelle à une image de soi marquée par la «performance sans faille », de l’autre la recherche d’un bonheur individuel marqué par un désengagement complet consistant à «se vider la tête» et à jouir de l’instant présent.
Les multiples outils de ce qu’on appelle le « développement personnel » prétendent répondre à cette demande paradoxale. La recherche éperdue de la performance sans faille présent dans le management moderniste se complète par les thérapies exotiques de relaxation et de médiation qui en constituent le contrepoint de décompression et de rééquilibrage énergétique nécessaire pour continuer la fuite en avant dans une recherche éperdue de soi-même. « Être à la fois constamment à l’optimum de ses performances tout en étant bien dans sa tête et dans son corps, dans un rapport réconcilié avec soi-même, avec les autres et avec la nature », tel me paraît être l’idéal de l’individu narcissique contemporain.
Cela aboutit à une fascination pour les ouvrages de développement personnel et du management, les multiples outils qui prétendent fournir les clés de la connaissance de soi, les stages et les séminaires à base de religiosités exotiques qui se présentent tous comme des « outils miracles » permettant d’accéder au bonheur et à la sérénité. Les religiosités diffuses constituent un créneau porteur sur le marché des « spiritualités thérapeutiques » plus ou moins bricolées qui se nourrissent du mal-être du nouvel individualisme autocentré.
Dans ce domaine, vous soulignez l’importance prise par le néobouddhisme et la méditation qui connaissent un grand succès aujourd’hui en se présentant sous un angle thérapeutique. En même temps, ils diffusent une conception de la condition humaine et du monde qui rompt avec celles de notre héritage chrétien. Quels sont, selon vous, ces principaux points de rupture ?
Le néobouddhisme a pour lui l’avantage de se présenter comme une non-religion, une sorte de « spiritualité laïque » qui n’impliquerait aucune croyance et viserait à mettre fin à la souffrance, à l’heure où précisément les thèmes de la souffrance et de la victime tiennent une grande place dans la société. C’est du moins sous cet aspect thérapeutique que les diverses techniques de méditation sont présentées.
En fait, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que tout un discours néobouddhiste est diffusé en douceur à travers la littérature abondante des maîtres et des lamas, mais aussi par leurs adeptes occidentaux qui en ont fait des outils pratiques dont je ne nie pas du reste qu’ils peuvent avoir des effets sur la forme physique et sur la santé. Mais ces « outils» n’en continuent pas moins de diffuser, sous une forme édulcorée, les conceptions anthropologiques et religieuses d’origine. La « connaissance de soi», le bonheur et la sérénité promus par le néobouddhisme passent par un type de méditation qui n’est pas celle de notre tradition.
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