Brexit : le splendide isolement des élites
Par Eléonore de Vulpillières
Source: FIGAROVOX/ENTRETIEN
Les réactions de contestation du Brexit s'apparentent à la «révolte des élites» théorisée par Christopher Lasch, vivant dans leur isolement du reste du peuple, estime le professeur Jacques de Saint Victor, historien du droit et professeur des Universités (Paris XIII/CNAM). Ses derniers ouvrages parus sont Via Appia (Les Equateurs, 2016) etBlasphème. Brève histoire d'un crime imaginaire (Gallimard, prix du livre d'histoire du Sénat, 2016).
LE FIGARO. - A l'issue du référendum sur le Brexit, les partisans du camp du maintien ont réagi de diverses façons, allant de l'abattement à la combativité marquant leur attachement à l'Union européenne. Une pétition - comportant plusieurs centaines de fausses signatures - a atteint les 3 millions de signataires. Certains réclament l'indépendance de Londres membre de l'UE d'un Royaume-Uni hors UE. Comment analysez-vous ces réactions?
Jacques de SAINT VICTOR. - On peut penser dans un premier temps qu'il s'agit juste d'une réaction de mauvais perdants ou de désespoir d'une partie de l'élite urbaine, souvent jeune, qui se sent trahie par les campagnes, les vieux et les gens modestes. Il y a dans ce rejet de la démocratie une sorte d'illustration de ce que le grand penseur anglais, Christopher Lasch, appelait la «révolte des élites» (par opposition à la «révolte des masses» d'Ortega y Gasset). Dans ce livre très visionnaire, publié en 1995, Lasch notait que ce sont aujourd'hui les élites, et non plus les masses, qui vivent dans un splendide isolement, satisfaites d'elles-mêmes, rejetant tout ce qui échappe à leur bien-être personnel, coupées des réalités du monde commun qui les entoure. C'est la solidarité des surclasses globales qui, de Londres à Singapour ou Paris, sont indifférentes au sort de leurs voisins locaux. Elles ont développé une sorte d'irresponsabilité et d'immaturité qui les prive de toute forme de «sensibilité pour les grands devoirs historiques», disait déjà Lasch. Lorsqu'elles sont confrontées à un retour brutal du réel, comme le résultat d'une consultation démocratique, elles n'hésitent pas à se déclarer contre la démocratie. Lasch soulignait d'ailleurs ce déclin du discours démocratique chez des «élites qui ne font que se parler à elles-mêmes».
Peut-on y voir la marque d'un refus du jeu démocratique? La «construction européenne» est-elle, pour certains, supérieure à l'expression de la volonté populaire?
C'est vrai et c'est un élément, parmi d'autres, dans cette réaction anti-démocratique. L'Europe a échappé au discours historique. C'est une sorte de nouvelle religion laïque qui n'est plus fondée sur un socle réel mais sur un système de croyance. Etre eurosceptique relève pour certains d'un crime de lèse-majesté. Cela échappe au débat démocratique. Dans certains cercles, on est pour l'UE ou on est pour l'UE. Un point c'est tout. «Bruxelles a toujours raison». Cet unanimisme antidémocratique est aux origines mêmes des dérives du processus. Dès 1992, on l'a oublié, mais les Danois avaient dans un premier temps voté contre Maastricht à 50,7% (alors que les sondages prévoyaient 59% de oui). Bruxelles leur rappela sèchement qu'un petit peuple ne pouvait pas se permettre d'entraver le «rêve» de tout un continent. On les traita à part et avec hauteur. Il faut relire les déclarations de certains grands dirigeants à l'époque qui se demandèrent si les Danois étaient vraiment dignes de la démocratie. Montrés du doigt, ils furent contraints de revoter en 1993 et, à 56% cette fois-ci, ils firent le choix de Maastricht. On peut s'interroger si les profondes traditions anglaises se laisseront prendre à une telle mascarade de second vote. C'est peu probable car, en outre, l'Europe de Bruxelles n'est plus aussi attrayante qu'en 1992. Quand on a vu la façon dont MM Juncker ou Schäuble s'adressaient à la Grèce, le visage de Bruxelles a changé, même pour de nombreux europhiles de la première heure.
LE FIGARO. - A l'issue du référendum sur le Brexit, les partisans du camp du maintien ont réagi de diverses façons, allant de l'abattement à la combativité marquant leur attachement à l'Union européenne. Une pétition - comportant plusieurs centaines de fausses signatures - a atteint les 3 millions de signataires. Certains réclament l'indépendance de Londres membre de l'UE d'un Royaume-Uni hors UE. Comment analysez-vous ces réactions?
Jacques de SAINT VICTOR. - On peut penser dans un premier temps qu'il s'agit juste d'une réaction de mauvais perdants ou de désespoir d'une partie de l'élite urbaine, souvent jeune, qui se sent trahie par les campagnes, les vieux et les gens modestes. Il y a dans ce rejet de la démocratie une sorte d'illustration de ce que le grand penseur anglais, Christopher Lasch, appelait la «révolte des élites» (par opposition à la «révolte des masses» d'Ortega y Gasset). Dans ce livre très visionnaire, publié en 1995, Lasch notait que ce sont aujourd'hui les élites, et non plus les masses, qui vivent dans un splendide isolement, satisfaites d'elles-mêmes, rejetant tout ce qui échappe à leur bien-être personnel, coupées des réalités du monde commun qui les entoure. C'est la solidarité des surclasses globales qui, de Londres à Singapour ou Paris, sont indifférentes au sort de leurs voisins locaux. Elles ont développé une sorte d'irresponsabilité et d'immaturité qui les prive de toute forme de «sensibilité pour les grands devoirs historiques», disait déjà Lasch. Lorsqu'elles sont confrontées à un retour brutal du réel, comme le résultat d'une consultation démocratique, elles n'hésitent pas à se déclarer contre la démocratie. Lasch soulignait d'ailleurs ce déclin du discours démocratique chez des «élites qui ne font que se parler à elles-mêmes».
Peut-on y voir la marque d'un refus du jeu démocratique? La «construction européenne» est-elle, pour certains, supérieure à l'expression de la volonté populaire?
C'est vrai et c'est un élément, parmi d'autres, dans cette réaction anti-démocratique. L'Europe a échappé au discours historique. C'est une sorte de nouvelle religion laïque qui n'est plus fondée sur un socle réel mais sur un système de croyance. Etre eurosceptique relève pour certains d'un crime de lèse-majesté. Cela échappe au débat démocratique. Dans certains cercles, on est pour l'UE ou on est pour l'UE. Un point c'est tout. «Bruxelles a toujours raison». Cet unanimisme antidémocratique est aux origines mêmes des dérives du processus. Dès 1992, on l'a oublié, mais les Danois avaient dans un premier temps voté contre Maastricht à 50,7% (alors que les sondages prévoyaient 59% de oui). Bruxelles leur rappela sèchement qu'un petit peuple ne pouvait pas se permettre d'entraver le «rêve» de tout un continent. On les traita à part et avec hauteur. Il faut relire les déclarations de certains grands dirigeants à l'époque qui se demandèrent si les Danois étaient vraiment dignes de la démocratie. Montrés du doigt, ils furent contraints de revoter en 1993 et, à 56% cette fois-ci, ils firent le choix de Maastricht. On peut s'interroger si les profondes traditions anglaises se laisseront prendre à une telle mascarade de second vote. C'est peu probable car, en outre, l'Europe de Bruxelles n'est plus aussi attrayante qu'en 1992. Quand on a vu la façon dont MM Juncker ou Schäuble s'adressaient à la Grèce, le visage de Bruxelles a changé, même pour de nombreux europhiles de la première heure.
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