La déclaration des droits de l’homme de 1789, chef-d’œuvre libéral
Par Philippe Fabry et Julien Lalanne
En France, de manière très paradoxale, c’est probablement chez les libéraux que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 a la plus mauvaise réputation. Damien Theillier, à la suite de Jacques de Guenin, résumait tantôt quelques griefs dans un article au sein de ces colonnes. D’autres voient carrément dans le texte la source de tous les collectivismes pseudo-démocratiques.
Globalement, les critiques se résument à un point fondamental : la DDHC donnerait un trop grand rôle à la Loi, « expression de la volonté générale ». Elle mettrait donc les droits naturels, spécialement la liberté et la propriété, à la merci de la majorité démocratique ; la DDHC non seulement ne garantirait donc aucun droit, mais serait même nuisible, un danger pour l’État de droit et la liberté.
La conséquence naturelle et évidente de ce regard porté par les libéraux sur la DDHC est qu’ils évitent soigneusement d’y avoir recours dans le débat public. Or en France cette déclaration jouit toujours d’un prestige culturel important, et ses interprétations tordues et contraires au droit sont d’autant plus favorisées que les libéraux ont renoncé, pour les raisons ci-dessus évoquées, à défendre une lecture authentiquement libérale qui leur semble impossible. Ce faisant, ils se privent d’une arme politique de premier ordre pour la promotion du libéralisme, tout en permettant de triompher à des interprétations complètement absurdes de ce texte qui est, nous l’affirmons, un chef-d’œuvre libéral.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est principalement abordée sous un angle philosophique ou historique. Elle est pourtant un texte dont le Droit est l’objet. Il est excessivement rare, au regard de la célébrité du texte et de son caractère juridique, de trouver le texte abordé sous l’angle du Droit. Or l’Assemblée Nationale qui rédigea ce texte était en grande partie composée sinon de professionnels du droit, du moins d’individus qui avaient fait des études de droit. La Déclaration de 1789 est donc largement l’œuvre de juristes, et l’on prend le risque de nombreux contresens à ne pas la lire suivant les méthodes normales d’interprétation des textes juridiques, c’est-à-dire d’une part en lisant le texte comme un tout, spécifiquement en subordonnant la lecture des articles à tout ce qui les précède, et qui leur impose un sens (et nous allons voir qu’en procédant ainsi, l’idée que la loi se définit comme « l’expression de la volonté générale » est un contresens complet) ; et d’autre part en prenant la peine de dégager les définitions des termes telles qu’elles se dégagent du texte lui-même – puisqu’il se veut un texte de principe, non subordonné à un autre.
Lire le texte comme un tout
Le raisonnement suivi par les adversaires libéraux de la Déclaration est le suivant :
- Majeure : Une bonne déclaration de défense des droits naturels ne peut être contraire au Droit naturel.
- Mineure : Je connais une interprétation de tel ou tel article de la déclaration 1789 qui est contraire au droit naturel.
- Conclusion erronée : la DDHC est contraire au Droit naturel elle est donc une mauvaise déclaration.
« L’interprétation de la DDHC 1789 qui est contraire au Droit naturel est une mauvaise interprétation ».
La raison qui conduit à privilégier cette conclusion plutôt que tout autre se trouve dans le préambule même de la déclaration « Les Représentants du Peuple Français (…) ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme ». La déclaration, de par l’intention même des rédacteurs, ne peut produire de Droit contraire au Droit naturel.
Cette volonté se retrouve dans le corps du texte qui, contrairement aux apparences et à ce que l’on dit souvent, porte une très forte cohérence interne. Un premier regard laisse souvent penser qu’il s’agit seulement d’une suite d’articles posant autant d’axiomes politiques dont on espèrerait, très naïvement, qu’en les appliquant tous en même temps ils aboutiraient à un beau résultat. C’est tout de même faire insulte aux députés du Tiers État de 1789 qui étaient tous des gens instruits, et intellectuellement bien formés, et pour une bonne partie rompus à la rédaction d’actes juridiques complexes tels que les contrats.
En réalité la DDHC n’est pas une simple liste. Elle a un plan qui est le suivant :
– Les articles 1 à 3 définissent les droits naturels, la citoyenneté et la société politiqueL’article 1 définit la citoyennetéL’article 2 définit la société politique, et les droits naturelsL’article 3 les articule
– Les articles 4 à 6 définissent l’instrument de l’articulation des droits individuels au sein de la société politique, qui est la LoiL’article 4 définit la fonction de la LoiL’article 5 énonce les limites du champ d’action la LoiL’article 6 expose les règles d’adoption de la Loi
– Les articles 7 à 9 énoncent la force obligatoire de la Loi pénale et ses limites
– Les articles 10 et 11 énoncent les libertés « mineures » s’exerçant sur l’espace public
– Les articles 12 à 16 prévoient la mise sur pied de la force publique nécessaire à la mise en œuvre de la LoiL’article 12 définit la force publique et son objectifL’article 13 prévoit son financementL’article 14 prévoit le contrôle de ses ressourcesL’article 15 prévoit le contrôle de son exerciceL’article 16 précise la nécessité d’organiser le contrôle
– L’article 17 réaffirme l’importance du droit de propriété en conditionnant l’expropriation par son dédommagement.
On voit donc bien que le propos est tout sauf désordonné. Les idées découlent les unes des autres et sont hiérarchisées.
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