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sábado, 7 de junio de 2014

Dire que vous souhaitez abandonner l’économie de marché — peu importe vos raisons — ne suffit pas : vous devez d’abord présenter une alternative crédible


Le plan


À la mort de Staline en 1953, s’il est un constat que tous partagent, c’est l’état de délabrement catastrophique de l’appareil de planification. La méthode des balances par laquelle le Gosplan assigne des quotas de production à toute l’économie soviétique n’est pas seulement profondément dysfonctionnelle : elle mobilise aussi un appareil bureaucratique colossal, à tel point que la plupart des milliers d’ingénieurs que revendique l’Union soviétique sont en réalité exclusivement absorbés par des tâches administratives. Après la tentative de décentralisation avortée de Khrouchtchev — qui n’a abouti qu’à une chute de la production accompagnée d’un quasi-triplement des effectifs bureaucratiques — et le rétablissement d’une planification strictement centralisée, le problème se posait avec plus d’acuité que jamais : il fallait faire en sorte que ça marche.

Le plan parfait

Pour la première fois, la théorie de la planification va prendre le pas sur la pratique et toute une génération d’économistes et de mathématiciens — Vasily Nemchinov, Leonid Kantorovich ou Viktor Novozhilov pour ne citer que les plus éminents — vont se lancer dans la conceptualisation d’un optimum économique socialiste. Il faut bien mesurer l’ampleur de la tâche et ce qui la distingue d’un débat purement théorique. En cette fin des années 1950, la possibilité d’un calcul économique rationnel en économie socialiste est déjà un vieux débat : initié en 1920 par Ludwig von Mises [1] qui affirmait que c’était impossible, il avait déjà mobilisé les plus brillants partisans de l’hypothèse socialiste à commencer par Oskar Lange [2]. L’entreprise dans laquelle vont se lancer les économistes-mathématiciens soviétiques ne consiste pas participer à ce débat théorique mais, partant du principe que Mises se trompe, à construire un modèle de planification optimale qui n’a pas vocation à garnir les bibliothèques moscovites mais à être mis en œuvre pour de bon.

L’entreprise est colossale et, dès les premières tentatives, il apparaît clairement qu’une telle entreprise nécessitera un système de traitement et de transmission de l’information qui dépasse largement les capacités du Gosplan — fussent-elles déjà gigantesques. C’est pour faire face à cette limite technique qu’une solution va progressivement s’imposer dans les esprits, une nouvelle technologie importée de l’Ouest mais qui, en Union soviétique, va trouver un terrain d’application prodigieux : la cybernétique.

Les machines du communisme

Comment souvent en URSS, c’est un impératif militaire qui est à l’origine de l’affaire : en l’occurrence, l’implication de la recherche soviétique dans cette nouvelle technologie vise essentiellement à rattraper le retard pris sur l’armée américaine [3]. C’est donc sans grande surprise un militaire, l’ingénieur-colonel Anatoly Kitov, qui proposera en janvier 1959 le premier véritable plan d’informatisation du processus de planification ; idée proprement révolutionnaire qui, avec le soutien actif de plusieurs personnalité éminentes dont, notamment, celui de l’ingénieur-amiral Aksel Berg, va progressivement faire son chemin jusque dans le programme officiel adopté à l’issu du vingt-deuxième Congrès du Parti communiste en 1961.

Les opérations sérieuses commenceront véritablement en novembre 1962, lorsqu’Alexei Kosygin, l’ancien patron du Gosplan devenu numéro deux du régime, va lancer la superstar de la cybernétique soviétique sur le projet : Viktor Glushkov. Dès son premier projet, le directeur de l’Institut cybernétique de Kiev donne le ton : il est question de rien de moins qu’un gigantesque réseau informatique national capable non seulement de concevoir mais aussi d’assurer l’exécution du plan. L’idée n’est pas de créer un outil à la disposition du Gosplan mais de créer un outil pour remplacer le Gosplan.

Contrairement aux militaires, Glushkov va avoir l’intelligence de construire le pont qui séparait encore cybernéticiens et économistes en commençant à travailler activement avec le tout jeune Institut central d’économie mathématique (CEMI) de l’Académie des sciences d’URSS et notamment son premier directeur : Nikolay Fedorenko. C’est ce duo, Glushkov et Fedorenko, qui va être à l’origine de la plus grande tentative jamais entreprise de conception d’un système de planification optimale. Dès 1963, les « machines du communisme » [4], telle que la presse populaire soviétique désigne désormais les ordinateurs, suscitent autant d’enthousiasme en Union soviétique que d’inquiétude aux États-Unis : s’ils parviennent à leur fins, espère-t-on d’un côté et craint-on de l’autre, Glushkov et Fedorenko pourrait bien consacrer la victoire totale du socialisme sur le capitalisme.

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