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domingo, 22 de junio de 2014

La tragédie de la rupture entre la conscience et le monde reçoit une réponse de consolation avec la capacité pour l’esprit de donner un sens aux choses du monde


Emotion esthétique, indignation morale, étonnement philosophique : la sortie de l’ombre

par Chantal Delsol

Dickinson écrit ce poème : « Je suis mort pour la beauté, mais j’étais à peine installé dans la tombe, qu’un mort pour la vérité fut couché dans le caveau voisin. Pourquoi es-tu tombé ? me demanda-t-il à voix basse. Pour la beauté, répondis-je. Et moi pour la vérité ; c’est la même chose : nous sommes frères, dit-il. Ainsi, comme des parents se rassemblant à la nuit, nous nous sommes parlé d’une tombe à l’autre, jusqu’à ce que la mousse atteigne nos lèvres et recouvre nos noms ».

Je ne prétendrai pas ici disserter sur la convertibilité des transcendantaux. Il s’agit plutôt ici de la commune origine. L’apparition des catégories du beau, du bien et de vrai, relève d’attitudes de l’esprit analogues (« une belle âme », « un beau geste »).

Nous connaissons les dates probables de l’apparition des œuvres d’art humaines – autrement dit, du moment où l’homme reconnaît la beauté. Car le beau s’exprime concrètement et laisse des traces visibles que nous pouvons retrouver : les peintures murales de la préhistoire.

En revanche il nous est très difficile de savoir quand et de quelle manière surgit chez l’hominidé le sens du bien. Avec les progrès de la primatologie, nous trouvons déjà chez les singes supérieurs les prémisses d’une morale, ce que nous appelons l’empathie. Ce qui nous laisse supposer que les hommes préhistoriques connaissaient, même de façon embryonnaire, la distinction entre le bien et le mal, et la liberté qui la conditionne.

Par ailleurs, la catégorie du vrai est beaucoup plus récente, et très locale, dans l’histoire des hommes. Elle apparaît probablement avec la religion juive, puis avec Parménide et Platon, enfin dans le christianisme. Les cultures en général énoncent leurs croyances et leurs traditions à travers des mythes. La philosophie, qui cherche la vérité, apparaît en Occident.

Le sens de la beauté s’instaure par l’émotion du cœur et de l’esprit. Le sens moral, par l’indignation devant le mal. Le sens du vrai, par l’étonnement devant la réalité.

Ce n’est pas ici seulement le monde qui se donne à voir, car cela les animaux le reçoivent, mais c’est la conscience humaine adulte (au sens de la philogénèse) qui interprète le monde ou plutôt ressent comme des défis les questions que le monde lui pose, et plus loin les contemple et les rumine.
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