Matthieu Rougé, L’Église n’a pas dit son dernier mot - Petit traité d’antidéfaitisme catholique
Entretien avec Gérard Leclerc. Propos recueillis par Grégoire Coustenoble
Matthieu Rougé, L’Église n’a pas dit son dernier mot - Petit traité d’antidéfaitisme catholique, Robert Laffont, 264 p.,
Parmi les livres importants parus cette année, et dont nous regrettons de ne pas avoir encore parlé, il y a eu celui, très roboratif, du père Matthieu Rougé sur la place de l’Église dans la société. Nous proposons, pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu, de le glisser dans leurs bagages de vacances. Gérard Leclerc nous dit combien sa lecture en est agréable et son contenu extrêmement riche.
■ Un anglican atypique, John Shelby Spong, relayé dans Le Monde des religions, annonçait au début du mois de juin la fin du catholicisme…
Gérard Leclerc : Spong n’est pas le seul à proférer ce genre de prédictions. J’en connais, en France notamment, dont l’argumentation est d’ailleurs monotone. La sociologue Danièle Hervieu-Léger parlait déjà en 2003, à propos du catholicisme, de la fin d’un monde et fournissait son explication à propos d’un déclin inéluctable, en parlant d’« exculturation ». L’Église serait désormais étrangère aux requêtes de l’opinion parce que repliée sur une culture étrangère au monde d’aujourd’hui. Ces gens qui se réclament d’une pareille argumentation ne s’aperçoivent pas que leur contre-projet, quand il est un peu articulé, est encore plus inaudible que celui qu’ils dénoncent comme obsolescent. Les expériences avant-gardistes, partout où elles se développent, en dépit de leur prétention à coller aux aspirations contemporaines, suscitent au mieux une indifférence remarquable.
C’est mon excellent collègue Henrik Lindell — journaliste à l’hebdomadaire La Vie — qui le remarque, à propos de la Suède, son pays natal, duquel il est resté proche. L’Église luthérienne, qui a voulu coller au plus près des évolutions des mœurs, en reconnaissant par exemple le mariage homosexuel, est de plus en plus désertée par ses fidèles. A contrario, l’Église catholique et les évangéliques connaissent un véritable essor, précisément en raison de leurs exigences et de leur fidélité à la tradition chrétienne.
■ On pourrait en dire autant de l’Église d’Angleterre…
Absolument, ses prétendues audaces, (ordinations de femmes prêtres et désormais évêques, acceptation de l’homosexualité dans le clergé, etc.) n’ont provoqué aucun engouement pour la pratique religieuse. La pratique religieuse, dans l’Église anglicane est extrêmement basse. Celle de l’Église catholique en Angleterre est plus importante. Par ailleurs, on n’a pas encore fait le bilan de l’expérience de l’ouverture du sacerdoce aux femmes, mais il semble qu’elle concerne, pour la quasi-totalité, des filles de prêtres anglicans, ce qui amène à la reconstitution d’une véritable caste sacerdotale !
Curieusement, ce genre de faits n’est jamais pris en compte dans les études sociologiques sur la situation du christianisme. Alors qu’on prête l’oreille à une légion de détracteurs de la papauté, pour annoncer la fin prochaine de l’Église de Rome, on garde un silence impressionnant à propos de l’échec de l’ouverture à la modernité.
■ En contraste avec ces sociologues du déclinisme, le père Rougé explique donc que « l’Église n’a pas dit son dernier mot » et entend s’opposer au défaitisme catholique.
Il faut peut-être rappeler que le père Rougé, avant de commencer ses études de théologie, avait déjà un solide cursus universitaire. Devenu prêtre, il fut durant trois ans le secrétaire particulier du cardinal Jean-Marie Lustiger. C’est à ce moment-là que j’ai pu apprécier sa vive intelligence, notamment lorsque nous réfléchissions, de façon très pratique, à la mission de la chaîne de télévision KTO. Dans ce livre, il y a beaucoup de réminiscences de cette époque. Avec le recul du temps nous pouvons mieux comprendre l’importance de l’action de Jean-Marie Lustiger à Paris et de sa mission à l’intérieur de l’Église de France. L’archevêque avait des idées précises sur le redéploiement de l’action pastorale dans la capitale. Elles étaient fondées sur une expérience du terrain et sur une réflexion très élaborée quant aux conditions de l’annonce de l’Évangile à la société contemporaine.
J’ai été très frappé, lors de la dernière interview que j’ai faite du Cardinal (à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire) par son retour aux événements de 68. Il avait vécu douloureusement une sorte de déni de la vocation sacerdotale. Il s’était rendu compte également de la déliquescence de certaines grandes organisations qui avaient structuré le catholicisme français depuis la guerre. Il avait donc la certitude intime qu’il fallait, en grande partie, reconstruire l’édifice. Pour cela, il fallait à la fois un ressourcement spirituel radical et une volonté de reconstruire à neuf et avec audace, les instruments nécessaires.
Je rappelle cela à l’occasion du livre du père Rougé, qui ne traite pas directement de ces questions, mais dont l’inspiration est typiquement reliée aux grandes intuitions de Jean-Marie Lustiger. D’ailleurs, dans son préambule il rappelle le diagnostic opéré dans les années soixante-dix par Maurice Clavel dans son « fameux cri de colère et de foi » intitulé Dieu est Dieu, nom de Dieu ! J’approuve d’autant plus que j’étais très proche de Clavel à l’époque et que celui-ci m’a confié, de vive voix, sa répulsion à l’égard d’un certain esprit post-conciliaire. Allait-on laisser l’Église en situation de quasi-schisme, avec d’un côté un noyau traditionaliste rebelle et de l’autre des soi-disant progressistes, en pleine dérive ? Le père Matthieu Rougé, qui est beaucoup plus jeune que moi, a reçu aussi directement la leçon, mais avec la volonté d’échapper à tous les pièges. Je lui laisse la parole : « Notre condition historique en général, les formes qu’elle prend en notre temps peuvent susciter la peur, qui endurcit les cœurs, voire la panique, comme aux tout premiers jours de la communauté chrétienne, racontés par les Actes des apôtres. Mais l’Église et les chrétiens ne sont, aujourd’hui comme hier, condamnés ni à l’enfermement, ni à la dissolution, ni à l’intransigeance, ni à l’insignifiance. Ils sont appelés à vivre en témoins bienveillants et courageux d’une vérité qui n’est pas près de les décevoir ni de décevoir le monde. »
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