Un été d’avant-guerre
par Joris Karl
L’été devenait mou. Presque visqueux. Le peuple ballotté entre canicule et jours de pluie avançait avec la prestance d’une pile d’archives mal défraîchies. L’actualité n’atteignait plus le sol depuis longtemps. On savait qu’au loin il y avait des crashs, mal à l’aise ou malaisiens, on savait qu’il y avait des bang de plages et des fuites de Gaza. Mais on marchait. Droits comme des I, alors que dans la moiteur cravatée de l’Assemblée, une fournée de pingouins votait la fusion des régions. Tout seuls, comme des grands, à mille lieues de ce peuple qui pour eux n’existait plus. Comme cent ans auparavant, le ronronnement de la guerre nous berçait. Nous caressait quasi somnifère. Un alcool de haute tenue, petite gorgée, grande ivresse. Mais pas d’archiduc crucifié à l’horizon, pas de Bosnie pour le moment. Même pas de Caillaux dans nos chaussures, même pas de Jaurès au croissant.
Il y avait malgré tout cette impression qui vous sèche la gorge. Celle d’un été d’avant-guerre. Un vertige en voyant la mer tranquille. Trop de signes avant-horreur. Des manifestations exotiques laissaient des traces de bave dans nos boulevards, des revendications d’un autre âge rythmaient tant bien que mal le concert de l’intermittence.
Pourtant, le 14 Juillet s’était déroulé comme de coutume. Quoique. Toujours autant, voire plus de grappes humaines venues se répandre au pied du bouquet final. Des aahhh, des ohhh, pour goûter les comètes incertaines, pour humer le parfum des fusées. Lointaines bastilles dont on leur avait naguère susurré l’émotion sur les bancs de l’école. Le bruit de la guerre était ailleurs, enterré dans le passé absous, réfugié à jamais au tréfonds des pages jaunies du manuel de classe.
......
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