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lunes, 18 de agosto de 2014

Soljenitsyne: Russie/Ukraine







Le site web de la radio La voix de la Russie propose en ce moment une série d’articles puisés dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne et abordant la question des relations entre les peuples frères russe et ukrainien. Ce week-end, c’est un extrait de l’essai intitulé Comment réaménager notre Russie, paru en 1990, qui a été publié :



« Je suis presqu’à moitié Ukrainien et j’ai grandi parmi les sonorités de la langue ukrainienne. Je suis resté la majeure partie de mes années passées au front dans la sobre Biélorussie et j’ai aimé d’un amour pénétrant sa triste indigence et son peuple docile. Pour les uns et les autres je ne suis pas un étranger, je m’adresse à eux comme si j’étais l’un des leurs.

Notre peuple s’est divisé en trois branches suite aux terribles malheurs de l’invasion mongole et de la colonisation polonaise. Parler de l’existence depuis le IXème siècle d’un peuple ukrainien à part, parlant une langue non russe spécifique, est une falsification récente. Ensemble nous sommes issus de la noble Kiev « d’où provient la terre russe » selon la Chronique de Nestor, d’où nous est venue la lumière du christianisme. Nous avons été gouvernés par les mêmes princes : Iaroslav le Sage a partagé entre ses fils Kiev, Novgorod et les étendues entre Tchernigov et Riazan, Mourom et Beloozero ; Vladimir Monomaque était simultanément prince de Kiev et prince de Rostov ; la même unité est constatée dans le service des métropolites. En Lituanie et en Pologne les Biélorusses et les Ukrainiens se prenaient pour les Russes et luttaient contre la polonisation et la catholicisation. Le retour de ces terres dans le giron de la Russie était alors interprété par eux tous comme une Réunification.

En effet, il est douloureux et honteux de se souvenir des décrets de l’époque d’Alexandre II (1863, 1876) interdisant la langue ukrainienne dans le journalisme, puis dans les belles-lettres, mais cela n’a pas duré longtemps, car c’était une ossification et un égarement de l’esprit dans la politique gouvernementale et ecclésiastique qui ont préparé la chute du régime d’Etat russe.

Cependant, la Rada socialiste pleine de vanité de 1917 a été composée sur un accord entre les politiques et n’a pas été élue par le peuple. Quand elle a quitté la fédération et annoncé le détachement de l’Ukraine de la Russie, elle n’a pas demandé l’opinion du peuple.

J’ai déjà répondu à des nationalistes ukrainiens en exil qui répètent sans arrêt à l’Amérique que « le communisme est un mythe et que ce sont les Russes et non pas les communistes qui veulent s’emparer du monde » (et voilà les « Russes » ayant déjà occupé la Chine et le Tibet, ce qui demeure depuis déjà 30 ans dans une loi du Sénat américain). Le communisme est le mythe que les Russes et les Ukrainiens ont appris à leurs dépens dans les geôles de la Tcheka depuis 1918. C’est le mythe qui a réquisitionné dans la région de la Volga même les grains de semence ayant voué 29 gouvernements russes à la sécheresse et à la famine de 1921-1922. Le même mythe qui a perfidement plongé l’Ukraine dans une famine aussi impitoyable en 1932-1933. Est-ce que nous ne sommes pas liés à cette violence sanguinaire, après avoir subi en commun la collectivisation communiste menée à coup de bâton et accompagné d’exécutions ?

En Autriche en 1848, les habitants de Galicie appelaient leur conseil national Golovna Rousska Rada (Rada russe principale). Plus tard, dans une Galicie annexée et sous la houlette autrichienne, on a cultivé une langue ukrainienne non populaire, truffée de mots allemands et polonais, ainsi que l’idée pour les Carpato-Ruthènes (habitants de l’Ukraine transcarpatique, les Ruthènes) de renoncer à la langue russe et l’idée du séparatisme ukrainien complet, qui se traduit chez les dirigeants actuels de l’émigration par une ignorance élémentaire (que saint-Vladimir était un Ukrainien) ou par une démence agressive : vive le communisme pourvu que les Moscovites crèvent !

Il va de soi que nous partageons les peines mortelles de l’Ukraine à l’époque soviétique. Mais d’où vient cette envie de trancher dans le vif et de séparer l’Ukraine (même les régions qui n’ont jamais été ukrainiennes : la Nouvelle Russie ou la Crimée, le Donbass et les territoires allant presque jusqu’à la mer Caspienne). S’il s’agit de « l’autodétermination de la nation », c’est la nation qui doit décider. Le problème ne peut pas être résolu sans un vote du peuple entier.

Détacher l’Ukraine aujourd’hui, c’est diviser des millions de familles et de personnes, tellement la population est mélangée ; il y a des régions entières à prépondérance russe ; combien de personnes ont du mal à choisir leur nationalité entre deux possibles ; combien de personnes ont des origines mixtes et combien recense-t-on de mariages mixtes, bien que personne ne les ait jamais considérés comme tels. Au sein de la population il n’y a même pas de velléité à l’intolérance entre les Ukrainiens et les Russes.

Frères ! Cette séparation violente est inutile, c’est une obnubilation de l’époque communiste. Nous avons enduré ensemble l’époque soviétique, nous nous sommes retrouvés ensemble dans cette fosse et nous en sortirons ensemble.

En deux siècles, combien de noms éminents avons-nous reçu à la croisée de nos deux cultures. Mikhaïl Dragomanov a dit à ce propos : « C’est inséparable, mais ce n’est pas mélangé ». La porte de la culture ukrainienne et biélorusse doit être largement ouverte avec bienveillance et joie non seulement sur le territoire de l’Ukraine et de la Biélorussie, mais aussi de la Russie. Il ne doit y avoir aucune russification forcée (mais aussi aucune ukrainisation forcée comme cela a eu lieu à la fin des années 1920), rien ne doit empêcher le développement des cultures parallèles et l’enseignement dans les écoles doit être dispensé en deux langues, selon le choix des parents.

Si le peuple ukrainien veut en effet se détacher, personne ne devra certes le retenir par la force. Mais ce pays étendu est très varié et seule la population locale peut décider du sort de son territoire, de sa région et chaque minorité nationale apparaissant dans ce territoire doit être accueillie par la non-violence à son égard.

Tout ce qui a été dit concerne également la Biélorussie, à la seule différence que là, le séparatisme n’a pas été attisé d’une manière irréfléchie.

Pour conclure : nous devons rendre hommage à la Biélorussie et à l’Ukraine qui ont vécu la catastrophe de Tchernobyl provoquée par les arrivistes et les imbéciles du système soviétique et en éliminer les séquelles dans la mesure de nos forces. »

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