Staline à Romain Rolland: "Faire exécuter est une chose sale."
En juin 1935, ce fut au tour de Romain Rolland de venir en URSS, à l'invitation de Gorki et de l'Association pour les relations culturelles avec l'étranger (VOKS). A Moscou , il séjourna dans la datcha de Gorki, du 23 juin au 21 juillet.
Le 28 juin, il eut la faveur insigne d'un entretien privé avec Staline qui dura une heure quarante minutes. Sa femme Marie princesse Koudacheva que Romain Rolland avait épousé en avril 1934 lui servit d'interprète. (13)
(13) Marie Pavlova, née le 21 mai à Saint-Pétersbourg, était la fille naturelle d'une institutrice française, Adèle Cuvelier, et d'un officier russe. Elle épousa en 1916 le prince Serge Koudachev, mort du typhus au Caucase, dans les rangs de l'Armée blanche. En 1926, Marie Koudacheva travailla au consulat de l'ambassade de France à Moscou et entra en correspondance avec Romain Rolland.
Le romancier souleva devant la maître du Kremlin, la question des exécutions massives qui avaient suivi l'assassinat de Kirov. Staline répondit : " on n'a aucun plaisir à condamner, à faire exécuter. C'est une chose sale." Et Romain Rolland le crut. Il crut de même Iagoda, qu'il rencontra plusieurs fois dans la datcha de Gorki. Pourtant les témoins véridiques n'avaient pas manqué de le détromper. Dans cette même villa, Romain Rolland rencontra à plusieurs reprises Catherine Pechkova, la première femme de Gorki. Il eut même l'occasion de lui parler sans témoin. Le romancier note dans son "Journal de Russie", à la date du 16 juillet 1935: "Causé pendant et après le souper avec ma voisine de table Mme Catherine P.Pechkova. Elle est en opposition (mais elle le cache) avec tout le milieu. A la Croix-Rouge qu'elle dirige, elle ne peut, dit-elle presque plus rien faire. Elle est amère. Elle manifeste une hostilité profonde contre Iagoda et elle le juge avec sévérité."
Le dernier jour du séjour, le dimanche 21 juillet, Romain Rolland se trouva être seul avec Mme Pechkova dans la voiture qui les ramena de la datcha de Gorki à sa villa de Moscou. Il note dans son journal : "Dans l'auto, je suis seul avec Mme Pechkova. Elle parle amèrement de l'attitude qu'a prise Gorki contre son oeuvre de la Croix-Rouge pour les détenus politiques. Il ne doit pas y avoir d'oeuvre qui s'ingère dans les affaires de l'Etat. En fait, Mme Pechkova a les mains liées; elle ne peut presque plus rien faire."
Au cours de son entretien avec Staline, Romain Rolland n'a pas soulevé la question religieuse. La religion est libre, lui a-t-on répété, et pour l'en convaincre, on devait le conduire le dimanche 14 juillet à un office religieux. Un malencontreux lumbago l'en a empêché. Pourtant, sur ce point aussi des témoins auraient pu lui ouvrir les yeux. La belle-mère de sa femme, Mme Catherine Koudacheva, avait exprimé ses réticences vis-à-vis du régime et lui avait parlé des camps de concentration qui n'étaient pas seulement réservés aux criminels, mais aussi aux opposants politiques. Le romancier mit ces propos au compte d'une hostilité de classe.
A son retour, il dira à ceux qui lui reprochaient de ne pas avoir vu en URSS les atteintes à la liberté religieuse que chez les Koudachev, on avait toujours pu pratiquer la religion. A ceux que, dans une lettre publique publiée dans "l'Humanité", il appelle les "calomniateurs, parce qu'ils reprochent à l'URSS de mener "le combat contre Dieu", Romain Rolland répond "je vous dirai que je connais à Moscou des gens (dans la famille de ma femme) qui n'ont jamais cessé de se rendre à l'office religieux dans leur église. Le culte religieux est protégé à l'intérieur des églises.
Le procès des années 1936-1938 et la Grande Terreur infligeront un démenti cinglants aux propos de Staline et aux illusions de Romain Rolland.
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