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lunes, 22 de septiembre de 2014

Quand on veut discréditer un politique auquel on n'a rien à répondre, on l'accuse de populisme.


La France qui gronde
(et que personne n'entend)





Dans "La France périphérique - Comment on a sacrifié les classes populaires"*, le géographe Christophe Guilluy montre le délitement de la République. Salutaire.

En vérité, je vous le dis : si vous pensiez que la géographie consiste à remplir des fonds de cartes vierges, en y indiquant sommairement les fleuves et les montagnes, vous avez quelques décennies de retard. La géographie consiste pour l'essentiel à rendre compte de l'action humaine sur les paysages - "territoires", disent les géographes. Tant il est vrai que, des collines de Toscane dessinées de main d'homme pour ressembler à des courbes alanguies, aux horizons des friches industrielles de Lorraine et d'ailleurs, il n'est pas d'espace que nous n'ayons modifié, et dont l'étude rend compte exactement des humanités souffrantes ou conquérantes qui s'y sont succédé et qui y vivent.

Un hexagone dont le centre est à Paris et la périphérie partout ailleurs

Séance de rattrapage. Fernand Braudel, en 1993, invente la "ville-monde", ultime avatar de la mondialisation : "C'est sur ces territoires, explique Guilluy, que l'on assiste à une mutation, voire à un effacement du modèle républicain." Qu'est-ce à dire ? La géographie peut-elle rendre compte des politiques ? Oui-da ! "Politique de la ville, promotion d'un modèle communautariste, la gestion de la ville-monde passe par une adaptation aux normes anglo-saxonnes", écrit Guilluy. L'une des conséquences les plus radicales et les moins voyantes, c'est l'élimination du paysage des classes populaires.

Les yeux rivés sur les "banlieues", dont on s'imagine à tort qu'elles sont le réservoir des révoltes potentielles, les politologues et les journalistes qui les interviewent avec complaisance n'ont pas vu que "mouvement des Bonnets rouges, plans sociaux, refus du référendum européen, abstention, vote FN, les nouvelles radicalités émergent sur des territoires situés à l'écart des métropoles mondialisées (...) Ainsi, la question sociale n'est pas circonscrite de l'autre côté du périph, mais de l'autre côté des métropoles, dans les espaces ruraux, les petites villes, les villes moyennes, dans certains espaces périurbains qui rassemblent aujourd'hui près de 80 % des classes populaires."

Précisons tout de suite qu'en contexte de crise (en gros, depuis le premier choc pétrolier, mais on en discernait des prémices antérieurement), ces classes populaires sont constituées d'ouvriers, d'employés, de petits agriculteurs, mais surtout de classes moyennes en voie de paupérisation rapide. Et cela finit par faire du monde.

Et la géographie dans tout ça ?

La géographie devient alors une sociologie étayée ou une politique intelligente - tiens, deux oxymores. Elle met en évidence l'opposition de deux France, la France des métropoles intégrée à l'économie-monde (et productrice de richesses), et une France périphérique, fragile et populaire - avec, dans l'angle mort de ces deux mondes, des classes populaires au destin incertain, qui s'organisent, sans se concerter, en une contre-société rétive au bonheur imposé par Goldmann-Sachs et Warren Buffett. Une contre-société qui tâche de conserver un peu de cette "common decency" que prônait George Orwell - et aujourd'hui Jean-Claude Michéa. Même si cela passe, paradoxalement, par un vote FN.

Un géographe produit des cartes : Christophe Guilluy n'y manque pas - il a conservé les plus parlantes, en les actualisant, de celles qu'il avait publiées dans son Atlas des nouvelles fractures sociales en France (Autrement, 2006). Les scientifiques opèrent souvent ainsi : déçus de l'audience confinée d'un ouvrage destiné aux spécialistes, ils en produisent une version lisible par les honnêtes gens. La France périphérique confronte donc la carte des aires urbaines (la carte d'état-major des classes dirigeantes, persuadées, comme tant d'autres, qu'il n'est bon bec que de Paris, comme dit le proverbe), la carte sociale des ouvriers et des employés (quasiment le négatif de la première, tant il est vrai que les grandes métropoles mondialisées se sont débarrassées largement de ces classes laborieuses qui pouvaient devenir dangereuses), la carte des fragilités sociales (réalisée en tenant compte de sept indicateurs - part des ouvriers dans la population active, part du temps partiel, du chômage, des propriétaires occupants, des précaires, etc.), la carte de la France qui gronde (figurez-vous qu'il y a un rapport entre les plans sociaux, les révoltes sporadiques et le vote FN - qui l'eût cru ?) et enfin de l'expansion spécifique du FN, dont les bastions traditionnels (Nord et Sud-Est) ne doivent pas masquer la progression dans les villes moyennes ou petites et dans les zones rurales.

Le populisme, l'accusation vide

Quand on veut discréditer un politique auquel on n'a rien à répondre, on l'accuse de populisme. Christophe Guilluy analyse finement l'évolution (il faudrait dire la révolution) conceptuelle d'un FN qui en 1984, quand Mitterrand aidait à le réinventer, était tout imprégné de reaganomics, comme on disait alors outre-Atlantique, ultra-libéral et xénophobe - l'écho français de ces républicains qui allaient se regrouper dans les tea parties - et qui, trente ans plus tard, sous la houlette de Marine Le Pen et de ses conseillers, a trouvé des accents chevènementistes et républicains pour fustiger l'oligarchie européenne, l'alignement sur l'Otan, l'école à la dérive, gommant, au passage, les inflexions les plus nauséabondes, et n'hésitant pas à faire le ménage parmi les ultras hérités de papa, qui devraient eux aussi lire l'étude de Christophe Guilluy, afin de comprendre qui vote pour eux - et pourquoi. Au quotidien, la France qui trime n'a pas de réflexes racistes. Simplement elle se bat pour survivre - et parfois, cela déborde.

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