Ce que l'aveu de l'éminence grise de Donald Trump sur ce qui l'a poussé à embrasser le populisme nous révèle de la nature politique profonde du mouvement qui déstabilise les démocraties occidentales
par Jean-Eric Branaa - Edouard Husson
Pour de nombreux journaux comme le "Wall Street Journal" ou "Vanity Fair", cela ne fait aucun doute : c'est l'histoire familiale de Steve Bannon, haut conseiller stratégique de Donald Trump, qui l'a amené à adopter les thèses populistes et prôner un retour au protectionnisme.
Atlantico : Quelle est l'histoire personnelle de Steve Bannon ? Quels enseignements en a-t-il tiré sur sa vision du monde ?
Jean-Eric Branaa : L’histoire professionnelle de Steve Bannon est plutôt atypique pour un diplômé de Harvard (il y a obtenu son MBA avec mention en 1983) : s’il a intégré Goldman Sachs, il a d’abord brièvement servi dans la marine et, plus tard, a fondé une entreprise de conseil en fusions-acquisitions spécialisée dans les médias, a été producteur à Hollywood, avant de diriger un magazine en ligne, Breitbart, connu pour diffuser la propagande d’extrême droite.
Pour sa part, il se définit comme étant de centre-droit, populiste, conservateur et anti-establishment, comme il l’a confié dans une interview à Bloomberg.
C’est peut-être alors dans son histoire plus intime que l’on peut trouver des éléments plus probants qui permettent de comprendre davantage cet homme : son père, Marty Bannon, a travaillé dur et a économisé le moindre sou durant toute sa vie afin de préparer ses vieux jours, investissant ses économies dans des actions d’AT&T, la compagnie de téléphone pour laquelle il travaillait. Mais, comme beaucoup, il a été rattrapé par la crise financière de 2007, dont il a été une des victimes. Face au crash boursier il a paniqué, vendu ses actions et y a laissé pratiquement toutes ses économies, perdant plus de 100 000 dollars.
Le Wall Street Journal a rapporté cette anecdote en insistant sur l’importance qu’elle avait eu pour son fils Steve, qui est alors entré en guerre contre les élites et leur petit monde, qu’il a taxé de "socialisme des riches", parce qu’elle s’auto-distribue les bénéfices quand il y en a, en ne laissant aux masses que les restes, sous la forme des inconvénients et des effets négatifs, voire destructeurs, de la crise. La vision du monde de Steve Bannon aurait alors été dominée par l’idée qu’il y a une élite intouchable, qui profite de la mondialisation pour s’enrichir et préserver ses privilèges mais délaisse jusqu’à l’intérêt du pays et de ses habitants. Bannon a ainsi théorisé l’idée du "nationalisme économique", mais a aussi trouvé des victimes expiatoires, embrassant des thèses racistes et antisémites, comme le rapporte au Daily Wire Ben Shapiro, ancien éditorialiste de Breitbart. Bannon s’est alors rapproché d’hommes très radicaux, tels que Stephen Miller, que l’on retrouve également dans l’entourage immédiat de Donald Trump aujourd’hui, à la Maison-Blanche : Miller est l’homme qui a écrit la plupart des discours du candidat durant la campagne. Ce sont eux deux qui auraient écrit le premier décret migratoire si controversé, sans consulter qui que ce soit d’autre. Pour Bannon, le nationalisme économique est la seule façon de rendre au peuple les dividendes auquel il a droit et de mettre fin à un cynisme international qui ne profite qu’à un tout petit nombre. Il vise là, en particulier les politiciens qui ne devraient pas pouvoir exercer au sommet du pouvoir pendant toute leur vie, selon le conseiller politique de Trump.
Edouard Husson : Je ne me prononcerai pas sur le détail de sa biographie officielle, qui est presque trop adaptée au rêve américain pour ne pas avoir été un peu stylisée. Une famille en ascension sociale de la classe ouvrière à la classe moyenne. Un parcours personnel qui passe par les forces armées, la finance, Hollywood, les médias pour finir comme l'un des hommes-clé de la Maison Blanche. La force de l'histoire que raconte Bannon, c'est qu'elle trouve un écho chez beaucoup d'Américains convaincus que le "rêve américain" est bloqué, que l'ascension vers la réussite professionnelle et le mérite est arrêtée par une stratification au sommet. Bannon a fréquenté la haute finance puisqu'il a travaillé chez Goldman Sachs. Mais, nous dit sa biographie officielle, l'histoire de son père, dont les achats d'action n'ont pas été récompensés, au contraire, du fait "des manipulations de Wall Street" l'a conduit à sortir de ce système pour faire levier, à partir des médias, et contribuer à réenclencher le rêve américain. J'attire votre attention sur la répétition de l'histoire: à la fin du XIXè siècle américain, le populisme avait connu une première poussée. Mais à l'époque, il n'avait pas trouvé de champion pour imposer ses idées à la Maison Blanche. Je soulignerai aussi la dimension d'utopie que charrie le discours de Bannon. Nous le prenons pour un réactionnaire. Lui explique que les réactionnaires sont les oligarques libéraux et néocons. Ce qu'il veut voir réaliser à Donald Trump, c'est la relance de l'ascenseur social américain. Bannon lui-même, en s'appuyant sur les analyse de Howe (The Fourth Turning) croit à l'avènement prochain d'un nouveau "printemps américain".
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