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viernes, 12 de febrero de 2016

Une défense raisonnée de l’élément central de notre ordre juridique contemporain. Un débat entre libéraux.


La déclaration des droits de l’homme de 1789, chef-d’œuvre libéral



Par Philippe Fabry et Julien Lalanne.


En France, de manière très paradoxale, c’est probablement chez les libéraux que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 a la plus mauvaise réputation. Damien Theillier, à la suite de Jacques de Guenin, résumait tantôt quelques griefs dans un article au sein de ces colonnes. D’autres voient carrément dans le texte la source de tous les collectivismes pseudo-démocratiques.

Globalement, les critiques se résument à un point fondamental : la DDHC donnerait un trop grand rôle à la Loi, « expression de la volonté générale ». Elle mettrait donc les droits naturels, spécialement la liberté et la propriété, à la merci de la majorité démocratique ; la DDHC non seulement ne garantirait donc aucun droit, mais serait même nuisible, un danger pour l’État de droit et la liberté.

La conséquence naturelle et évidente de ce regard porté par les libéraux sur la DDHC est qu’ils évitent soigneusement d’y avoir recours dans le débat public. Or en France cette déclaration jouit toujours d’un prestige culturel important, et ses interprétations tordues et contraires au droit sont d’autant plus favorisées que les libéraux ont renoncé, pour les raisons ci-dessus évoquées, à défendre une lecture authentiquement libérale qui leur semble impossible. Ce faisant, ils se privent d’une arme politique de premier ordre pour la promotion du libéralisme, tout en permettant de triompher à des interprétations complètement absurdes de ce texte qui est, nous l’affirmons, un chef-d’œuvre libéral.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est principalement abordée sous un angle philosophique ou historique. Elle est pourtant un texte dont le Droit est l’objet. Il est excessivement rare, au regard de la célébrité du texte et de son caractère juridique, de trouver le texte abordé sous l’angle du Droit. Or l’Assemblée Nationale qui rédigea ce texte était en grande partie composée sinon de professionnels du droit, du moins d’individus qui avaient fait des études de droit. La Déclaration de 1789 est donc largement l’œuvre de juristes, et l’on prend le risque de nombreux contresens à ne pas la lire suivant les méthodes normales d’interprétation des textes juridiques, c’est-à-dire d’une part en lisant le texte comme un tout, spécifiquement en subordonnant la lecture des articles à tout ce qui les précède, et qui leur impose un sens (et nous allons voir qu’en procédant ainsi, l’idée que la loi se définit comme « l’expression de la volonté générale » est un contresens complet) ; et d’autre part en prenant la peine de dégager les définitions des termes telles qu’elles se dégagent du texte lui-même – puisqu’il se veut un texte de principe, non subordonné à un autre.

Lire le texte comme un tout

Le raisonnement suivi par les adversaires libéraux de la Déclaration est le suivant :
  • Majeure : Une bonne déclaration de défense des droits naturels ne peut être contraire au Droit naturel.
  • Mineure : Je connais une interprétation de tel ou tel article de la déclaration 1789 qui est contraire au droit naturel.
  • Conclusion erronée : la DDHC est contraire au Droit naturel elle est donc une mauvaise déclaration.
Alors qu’un raisonnement (juridique) rigoureux conduit nécessairement à la conclusion suivante :

« L’interprétation de la DDHC 1789 qui est contraire au Droit naturel est une mauvaise interprétation ».

La raison qui conduit à privilégier cette conclusion plutôt que tout autre se trouve dans le préambule même de la déclaration « Les Représentants du Peuple Français (…) ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme ». La déclaration, de par l’intention même des rédacteurs, ne peut produire de Droit contraire au Droit naturel.

Cette volonté se retrouve dans le corps du texte qui, contrairement aux apparences et à ce que l’on dit souvent, porte une très forte cohérence interne. Un premier regard laisse souvent penser qu’il s’agit seulement d’une suite d’articles posant autant d’axiomes politiques dont on espèrerait, très naïvement, qu’en les appliquant tous en même temps ils aboutiraient à un beau résultat. C’est tout de même faire insulte aux députés du Tiers État de 1789 qui étaient tous des gens instruits, et intellectuellement bien formés, et pour une bonne partie rompus à la rédaction d’actes juridiques complexes tels que les contrats.

En réalité la DDHC n’est pas une simple liste. Elle a un plan qui est le suivant :

– Les articles 1 à 3 définissent les droits naturels, la citoyenneté et la société politique
  • L’article 1 définit la citoyenneté
  • L’article 2 définit la société politique, et les droits naturels
  • L’article 3 les articule
– Les articles 4 à 6 définissent l’instrument de l’articulation des droits individuels au sein de la société politique, qui est la Loi
  • L’article 4 définit la fonction de la Loi
  • L’article 5 énonce les limites du champ d’action la Loi
  • L’article 6 expose les règles d’adoption de la Loi
– Les articles 7 à 9 énoncent la force obligatoire de la Loi pénale et ses limites

– Les articles 10 et 11 énoncent les libertés « mineures » s’exerçant sur l’espace public

– Les articles 12 à 16 prévoient la mise sur pied de la force publique nécessaire à la mise en œuvre de la Loi
  • L’article 12 définit la force publique et son objectif
  • L’article 13 prévoit son financement
  • L’article 14 prévoit le contrôle de ses ressources
  • L’article 15 prévoit le contrôle de son exercice
  • L’article 16 précise la nécessité d’organiser le contrôle

– L’article 17 réaffirme l’importance du droit de propriété en conditionnant l’expropriation par son dédommagement.

On voit donc bien que le propos est tout sauf désordonné. Les idées découlent les unes des autres et sont hiérarchisées. En particulier, il faut noter que :

– les Droits naturels sont définis dans l’article qui définit la Société pour la raison logique qu’hors de la société, il n’y a pas de droit. La liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ne se considèrent qu’en présence d’une pluralité de personnes. Robinson Crusoé n’est pas propriétaire de son île, puisque la propriété est une borne qui distingue le « tien » du « mien » et du « sien ». Le droit est lié à la société comme le dit l’adage ubi societas, ibi ius.

– La Loi ne se définit pas comme « l’expression de la volonté générale », contrairement à ce que l’on dit souvent. Il ne s’agit là que du troisième article relatif à la Loi, qui vient uniquement énoncer ses modalités d’adoption ; il ne s’agit que d’une qualité formelle, quand les qualités substantielles en sont énoncées par les deux articles précédents (cf. plus bas la définition synthétique).

– La force publique n’a d’autre fonction que de faire respecter la Loi, c’est-à-dire de faire respecter la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l’oppression.

– Les libertés d’opinion, d’expression et de presse sont exprimées à part non, comme on le dit souvent, comme une sorte de liste complémentaire des droits individuels, mais au contraire parce que les rédacteurs de la DDHC ont eu l’intelligence de comprendre qu’elles ne sont pas des libertés de même nature. Deux siècles avant Hans-Hermann Hoppe, les révolutionnaires français comprenaient que ces deux libertés publiques étaient très différentes des libertés fondamentales de l’article 2, et astreintes au respect de ces libertés supérieures. Croire que ces libertés publiques sont spécifiquement défendues et avec une préférence sur le droit de propriété est un contresens majeur. L’idée selon laquelle un propriétaire peut refuser toute liberté d’expression sur sa propriété est en réalité défendue par la DDHC, pour laquelle les libertés d’expression et d’opinion sont des libertés mineures et secondaires, par opposition aux libertés majeures et primordiales que sont la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l’oppression.

Tous ces points font généralement l’objet d’absolus contresens, et ce en raison d’une lecture faussée du texte. La DDHC, insistons sur ce point, est un texte juridique. On ne doit pas la lire comme le Coran dont les derniers versets abrogent les plus anciens. On doit lire tout nouvel article comme subordonné aux précédents.

Et pour bien comprendre l’esprit de la DDHC, il est utile de comprendre, en suivant cette lecture hiérarchique des articles, le sens exact de chaque mot employé.

Les définitions de la DDHC : Société, Droits naturels, Loi, Citoyen, Constitution

La DDHC ne saurait se concevoir autrement que comme ce que l’on peut appeler un « texte premier », un texte fondateur au sens strict du terme. En effet, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’est pas simplement inspirée des théories du contrat social, elle est le Contrat social rédigé par les révolutionnaires. À aucun moment il n’est question d’État dans la DDHC, seulement d’association politique et de société d’hommes libres. La DDHC, ce sont les statuts de cette association politique. En tant que telle, elle est un texte primordial, dont le sens des grands mots qu’il utilise : Société, Droits naturels, Loi, Citoyen, Constitution ne saurait être cherché ailleurs que dans le texte lui-même, qui les définit, leur donne un sens univoque. Et pour synthétiser ces définitions, il suffit de lire le texte.

La Société et les Droits naturels

Le premier de ces grands mots est le mot « Société ».

Nombre de libéraux frémissent à la lecture de ce mot et de sa signification collectiviste. Le réflexe (salutaire) usuel est l’exclamation thatchérienne : « There’s no such thing as Society », la société n’existe pas. Néanmoins, aux termes de la Déclaration, la Société n’est pas une sorte d’entité floue. Elle est définie, dès l’article 2, comme une « association politique » dont le but est « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». La Société, dans la DDHC, doit donc se définir ainsi : « association politique ayant pour but la conservation de la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». C’est une définition extrêmement restrictive et qui, dès l’article 2, limite le rôle de toute structure politique : il s’agit d’une association d’autodéfense d’hommes libres, comme la concevait dans ses écrits Frédéric Bastiat. Aucune mission ne lui est donné au-delà, et tout le reste de la Déclaration doit être lu en mettant cette définition, et uniquement celle-ci, sous le mot « société ».

Une remarque à ce propos : le grand public croit souvent que la Terreur a été commise par des gens qui respectaient la DDHC de 1789. C’est faux : après le tournant de 1792, la Commune insurrectionnelle de Paris et la confiscation de la Révolution par les montagnards, fut rédigée une autre Déclaration, celle du 24 juin 1793 (à lire ici). Cette deuxième déclaration est un monstre. Toute l’élégance de la première a disparu, et si certains articles sont conservés, leur ordre est chamboulé, brisant le plan, sa cohérence logique et sa signification ; et surtout des articles éminemment collectivistes sont ajoutés, comme l’article 21 : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler » et l’article 22 : « L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens. » Cette Déclaration perd toute la rigueur juridique de la première, en ne définissant pas ses termes : utilité publique, société y sont par conséquent des termes flous.

Bien au contraire, les définitions de la DDHC de 1789, ciselées et précises, rendent parfaitement univoques ses énonciations.
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