La police de l'opinion en quelques lois
A l'occasion de l'affaire Dieudonné, certains ont critiqué le retournement de jurisprudence décidé par le Conseil d'Etat sous l'impulsion de Manuel Valls, en affirmant qu'il aurait suffi d'appliquer la loi existante.
L'occasion de rappeler qu'il existe en effet tout un arsenal législatif liberticide en France, sur lequel peut s'appuyer la police de l'opinion actuelle.
Pour pouvoir un jour les abroger, il peut être utile de connaître ces lois réprimant la liberté d'expression. Petit tour d'horizon :
- 1881- 1972 : un siècle de liberté d’expression
La France fait l’expérience pendant près d’un siècle d’une libre expression publique, grâce à la loi de 1881 sur la presse. Preuve, selon le philosophe Philippe Nemo, dans son ouvrage "Les deux Républiques françaises", qu'un juste équilibre est possible :
"Promulguée après de vives luttes pour la liberté d’expression, elle avait réussi à supprimer toute censure, sauf pour certaines restrictions concernant l’ordre public, notamment la diffamation, l’injure et l’incitation à l’émeute. Elle autorisait l’expression publique de toute opinion, y compris des hostilités verbales entre divers courants idéologiques, considérées comme élément essentiel d’une vraie démocratie. (...) Les idées les plus farfelues s’exprimaient librement, sans que la France ne soit devenue ni nazie, ni communiste, ni antisémite ni plus homophobe ou xénophobe qu’auparavant."
- La loi Pleven de 1972 sur le racisme : les sentiments et les propos deviennent des délits
Mais en 1972, la majorité de droite fait adopter la loi Pleven, qui modifie en profondeur la loi de 1881 à plusieurs points de vue :
- Elle ajoute aux délits d’injure et de diffamation, les notions nouvelles de provocation à la haine et provocation à la discrimination. Conséquence :
"La loi Pleven rend les sentiments intimes susceptibles d’être poursuivis pénalement, alors que jusque là ils étaient complètement hors du ressort des tribunaux, qui ne pouvaient juger que des actes. Dorénavant, des seuls propos pouvant faireéventuellement tort à des personnes peuvent être poursuivis en justice. C’est une véritable censure de la pensée, dont se servent régulièrement les associations antiracistes comme SOS racisme."
- Elle ne protège plus seulement les personnes à titre individuel, mais les communautés, définies par l’origine, l’ethnie, la race, la nation ou la religion. Autrement dit, exprimer son opinion sur une communauté peut être délictueux.
- A cet effet, la loi Pleven autorise, au-delà du procureur et de la victime, des associations à déclencher l’action judiciaire. SOS racisme, Mrap... forment alors une véritable police de la pensée, traquant tous les propos qui pourraient leur permettre de saisir la justice. En 1993, un nouvel article autorise les juges à attribuer à ces associations, en plus des dommages et intérêts, un dédommagement financier laissé à leur libre appréciation :
"Les associations ont donc non seulement un intérêt moral supposé, mais un réel intérêt financier à lancer des procédures".
- La loi Gayssot de 1990 sur le révisionnisme : l’Etat dicte l’histoire
La loi Gayssot de 1990 introduit le concept des lois « mémorielles », en punissant la contestation de l’Holocauste. Son but ?
"Empêcher les historiens de critiquer les versions officielles de certains épisodes douloureux de l’histoire, comme la colonisation et les génocides. (...) Elle rétablit explicitement ledélit d’opinion, en contradiction flagrante avec les déclarations des droits de l’homme."
François Billot de Lochner note ainsi dans "La répression de la pensée de 2004 à 2013", in Liberté politique n°60 :
"La brèche s’élargit au fil du temps : une loi de janvier 2001 reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ; la loi Taubira de mai 2001 indique que la traite et l’esclavage, relatifs à des zones déterminées [ndlt : donc uniquement du fait des Européens], constituent un crime contre l’humanité ; une loi de 2006 incrimine désormais la négation du génocide arménien."
- Les décrets de 2005 : même les propos privés sont poursuivis
En 2005, trois décrets créent de nouvelles infractions, d'après Philippe Nemo :
"notamment celles de diffamation, d’injure ou provocation à la discrimination non-publiques. Désormais, non seulement les propos exprimés publiquement mais aussi ceux exprimés en privé peuvent être poursuivis."
- La loi 2004 sur l'homophobie crée, avec la Halde, un tribunal de l'opinion
- En 2004, l'injure, la diffamation, la provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence, déjà réprimées pour certaines communautés par la loi Pleven, sont aussi condamnées quand elles sont faites publiquement en raison du sexe et, facteur agravant, de l'orientation sexuelle.
- Cette même loi, voulue par Jacques Chirac, crée une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité : la Halde. Ce nouveau tribunal de l’opinion pourra dénoncer aux juges tout ce qu’il considèrera comme discriminatoire. Son champ d'action dépasse largement celui du seul racisme : opinions politiques, mœurs, orientation sexuelle, apparence physique, état de santé ou handicap font partie des critères. Vaste programme, qui permet de traquer tout et n'importe quoi.
"Persister dans son opposition [au « mariage » homosexuel] pourra être considéré comme un appel à une discrimination illicite, et deviendra passible de poursuites. On pense notamment aux mariages religieux" s'inquiète François Billot de Lochner.
C’est en effet sous le coup de cette loi que le député Christian Vanneste en première et deuxième instance, pour avoir justifié ainsi son refus de la voter : "L'homosexualité est inférieure à l'hétérosexualité parce que si tout le monde était homosexuel, l'espèce humaine ne pourrait plus se reproduire." Deux jugements cassés par la Cour de cassation. Et Philippe Nemo de conclure, lors d'une conférence donnée à l'Institut Turgot :
"Les juges sont obligés de motiver leur jugement et j'ai été horrifié de voir que dans les trois procès, les juges se sont placés dans des cadres complètement différents. Cela révèle que le jugement est uniquement idéologique. Les juges ne jugent que d'après leurs opinions parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement ! Donc au lieu d'incriminer les juges, il faut incriminer les lois en question qui sont une perversion de la loi dans un pays de liberté."
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