Élisabeth Lévy : «Ne devenons pas des Français zombies !»
Par Alexandre Devecchio
A l'occasion de la sortie du nouveau numéro de Causeurintitulé, «Et les chrétiens d'Occident ?», Élisabeth Lévy répond aux questions de FigaroVox. Elle s'inquiète notamment de la tentation victimaire d'une partie des «cathos» blessée par le mépris d'État.
Le nouveau numéro de Causeur est consacré aux cathos: «les mal-aimés de la République». N'avez-vous pas l'impression d'exagérer? Si les chrétiens d'Orient sont incontestablement des victimes de l'histoire, peut-on vraiment considérer les chrétiens français comme une «minorité opprimée»?
Elisabeth Lévy: D'abord, permettez-moi de vous rappeler que notre titre est «Et les chrétiens d'Occident?». Ceci étant, bien sûr que les cathos ne sont pas une minorité opprimée, en réalité, ils constituent une majorité culturelle qui se sent opprimée et c'est cette perception que nous avons voulu analyser et interroger. Il ne s'agit évidemment pas d'encourager ce sentiment victimaire. Mais force est de constater que, dans le discours public et médiatique, on prend beaucoup de gants avec les autres religions et très peu avec la religion majoritaire. Personnellement, je souhaite qu'on ne prenne pas trop de gants avec les croyances des uns et des autres mais tout le monde doit être logé à la même enseigne. Or, quand des tombes catholiques sont saccagées à Castres - par un individu en djellabah répétant des prières musulmanes-, non seulement le Président de la République ne juge pas utile de dire sa solidarité avec les chrétiens de ce pays, mais la justice s'empresse d'expliquer rien ne suggère une connotation «à caractère religieux ou racial». Autre exemple, le plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme présenté par Manuel Valls ne mentionne nullement les actes anti-chrétiens. L'ennui, c'est que quelques jours après sa présentation, on apprenait que des attentats visant des églises avaient été évités - par chance. Alors non, les cathos ne sont pas une minorité opprimée, mais dans un monde où les victimes sont chouchoutées, ils ont quelques raisons de penser qu'ils sont des victimes moins égales que les autres.
Après la tentative d'attentat contre l'Eglise de Villejuif, le Premier ministre, Manuel Valls, a tout de même déclaré: «s'en prendre à une Eglise c'est s'en prendre à l'essence de la France». On a connu pire comme stigmatisation …
D'abord, conformément à la tactique «une cuillère pour papa, une cuillère pour maman», le Premier ministre a déclaré dans la même phrase, que les synagogues et les mosquées étaient aussi l'essence de la France - ce qu'elles sont un peu moins historiquement, ce n'est pas faire injure aux musulmans et aux juifs de le dire. Mais surtout, le fait que cette phrase ait suscité à gauche un certain nombre de crises de nerfs est symptomatique d'un refus de reconnaître au catholicisme et aux catholiques un statut particulier et même un statut tout court. On dirait que «les cathos», comme les «Français de souche», ça n'existe pas. Or, dans un sens, le catholicisme, c'est la France: pas comme religion, mais comme culture et pas toute la France, évidemment, mais tout de même une sacrée partie de son histoire, qui s'imprime dans les paysages, dans les habitudes et dans le langage, et dans les coutumes. Je me sens aussi française que n'importe quel catholique (ce que je ne suis pas, peut-être faut-il le préciser) mais je trouve normal que Noël soit un jour férié et pas Kippour.
Et si demain on interdit de se payer la tête de Moïse, Mahomet ou Jésus, après-demain on embastillera tous les chevaliers de La Barre qui refuseront de se découvrir au passage d'une procession. La République des susceptibles et des ombrageux que beaucoup appellent de leurs vœux me semble à moi irrespirable.Mais si le catholicisme, c'est la France, faut-il renoncer à la laïcité?
Vous êtes tombé sur la tête? La laïcité aussi, c'est la France! Je parle de culture, d'histoire, d'anthropologie, pas de pouvoir et d'institutions! Il n'est évidemment pas question d'accorder à une religion, quelle qu'elle soit, le droit d'intervenir dans l'espace public ou la possibilité d'organiser son emprise sur les esprits. La laïcité a été plutôt difficile à avaler pour pas mal de cathos mais ils l'ont fait alors justement, ce n'est pas le moment d'y renoncer au prétexte qu'elle chagrinerait les uns ou les autres. La laïcité française n'est pas une arme pour enquiquiner les croyants mais l'instrument qui nous permet à tous de vivre dans le même monde: celui de la raison. Alors, ce n'est pas agréable de voir son pape ou son prophète moqué en une de Charlie Hebdo, mais c'est le prix à payer: comme le dit Alain Finkielkraut, il y a une douleur de la liberté. Elle me semble infiniment plus douce que celle de tous ceux qui, à travers le monde, souffrent parce qu'ils ne croient pas ou parce qu'ils croient dans le mauvais dieu.
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