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martes, 11 de agosto de 2015

L’Etat Islamique, comme le Troisième Reich d’Hitler, est prêt à tout perdre pour tout prendre et mène un combat total sur plusieurs fronts


Attentats : la stratégie de l’Etat islamique deviendrait-elle irrationnelle en frappant l’Arabie Saoudite et la Turquie ?



Entretien "Atlantico" avec Alexandre Del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue renommé. Ancien éditorialiste à France Soir, il enseigne les relations internationales à l'Université de Metz et est chercheur associé à l'Institut Choiseul. Il a publié plusieurs livres sur la faiblesse des démocraties, les Balkans, la Turquie et le terrorisme islamique.


L'Arabie Saoudite a essuyé 3 attentats de Daech depuis mai 2015. En dépit de la sympathie que les autorités saoudiennes éprouvent pour le mouvement terroriste et de toutes les aides que le royaume a pu fournir, l'EI n'a pas hésité à frappé, comme il l'avait fait auparavant en Turquie. Incohérentes en apparence, ces attaques sont néanmoins motivées par une idéologie universaliste ancrée dans les gênes de l'EI.

Atlantico : Le 6 Août 2015, l'Etat islamique revendiquait l'attentat proféré à l'encontre d'une mosquée en Arabie Saoudite. En mai, d'autres attaques avaient eu lieu à l'encontre du Royaume. Or, les derniers attentats perpétrés en Turquie ont provoqué une réaction militaire immédiate du pays contre l'EI. Quelle est la rationalité stratégique de telles actions ?

Alexandre Del Valle : D'un point de vue purement stratégique, il n'y a apparemment rien de très rationnel dans la façon dont l'Etat Islamique agit, pour peu que l'on attende de lui le comportement d'un Etat rationnel et aux frontières stables à proprement parler. Ainsi, si l'on observe la situation dans le cadre de ce prisme-là, il est clair que ces attentats, qui risquent de créer plusieurs fronts nouveaux et donc de rendre plus unie et multiple la Coalition anti-Da’ech, semblent à la fois contre-productifs et irrationnels.
Toujours de ce point de vue rationnel, il ne faut pas oublier que l'Etat Islamique a pour ennemis principaux les forces chiites pro-iraniennes en Irak ainsi que les Alaouites et Bachar Al-Assad en Syrie.

S'en prendre à l'Arabie Saoudite, c'est donc en fait s'en prendre au parrain du sunnisme salafiste qui bombarde les chiites du Yémen, ennemis communs aux Saoudiens et à Da’ech. Sous cet angle, cela parait évidemment incohérent. Mais cela n'est qu'une apparence. Car d'un point de vue stratégico-idéologique, la logique de l'Etat Islamique totalitaire transfrontalier, à vocation impériale et fondé sur le culte de la mort et du jihad, est presque déroutante. Elle échappe par essence à la logique rationnelle d’un Etat « normal » dont les dirigeants pensent avant tout à leur bien être et à leur survie immédiate. Tel n’est pas le cas de l’Etat Islamique, qui, comme le Troisième Reich d’Hitler, est prêt à tout perdre pour tout prendre et mène un combat total sur plusieurs fronts. DAECH essaie, certes, d'avoir un Etat viable, essentiellement en Syrie et en Irak, et il devrait par conséquent selon nos esprits cartésiens introduire plus de rationalité dans sa façon d'agir. Pour autant, il est avant tout un mouvement totalitaire, idéologique, fondé sur l’utopie du Califat et de l'extension sans limites et par tous les moyens de l'Islam salafiste sur la planète toute entière. Son premier objectif, c'est d'établir un Etat transnational dans tout le Moyen-Orient. Mais son principe d’extension et son mode opératoire consistent à semer le chaos partout - y compris chez nous pour susciter des vocations et recruter des psychopathes ou des âmes en dérive – et surtout à attaquer des Etats régionaux fragiles et divisés afin de provoquer leur effondrement et de conquérir une partie de leur territoire où vivent des tribus dépourvues de réelle conscience nationale avec qui l’on peut pactiser à la manière bédouine ancestrale en négociant des butins comme au temps des premiers conquérants bédouins arabes et des premiers califats. N’oublions pas que les « Califes rachidoun » successeurs de Mahomet n’ont pas hésité à défier les deux plus grands empires de l’époque, byzantin et perse, puis sont partis à l’assaut de l’essentiel du monde moyen oriental et méditerranéen jusqu’à la France avec les succès extraordinaires que l’on connaît…. La stratégie apparemment folle de l’audace jihadiste tous azimuts ne l’est donc peut être autant que cela, car elle a déjà fonctionné dans le passé et les Jihadistes actuels de l’EI veulent refaire revivre cette geste conquérante sans limites.

Par conséquent, se limiter à l'Irak et la Syrie n’est pas satisfaisant pour les Jihadistes dont les buts de guerre stratégiques se situent à la fois dans le temps long au sens de Braudel et dans l’espace long au sens géographique et géopolitique. Dans la mesure où cet Etat Islamique ambitionne de faire voler en éclat toutes les frontières du Moyen-Orient, y compris celle de l'Arabie Saoudite, pour permettre l'extension d'un Califat dans le monde arabe, les attentats sont logiques : ils ont pour but : 1/ de créer des psychoses et des provoquer des réactions ; 2/ de sidérer l’opinion publique, 3/ de dresser à l’intérieur des pays visés les uns contre les autres. Ceci dans le but global de long terme d’édifier progressivement une nation islamique califale unie. Ces objectifs de guerre transnationaux légitiment stratégiquement et idéologiquement les attentats contre l'Arabie Saoudite et la Turquie, même si ces pays dirigés par des pouvoirs sunnites ont pu paraître un temps « alliés ». L’intention des jihadistes n’est bien sûr pas de détruire d’un coup des Etats plus puissants qu’eux, mais plutôt de faire parler d’eux afin de recruter puis surtout de créer le chaos dans les pays frappés et qui sont en général ciblés car affaiblis de l’intérieur par des divisions profondes tribales, religieuses, politiques et ethniques.

Il est possible que sur le long terme, en ouvrant plusieurs fronts y compris chez leurs anciens amis, l'Etat Islamique sème sa propre perte, ce qui est déjà arrivé au régime taliban qui abritait Al-Qaïda et son chef Ben Laden en Afghanistan avec la guerre américaine consécutive au 11 septembre 2001. Mais la preuve même de la viabilité de la stratégie jihadiste apocalyptique fondée sur l’amour de la mort et le chaos c'est que depuis le 11 septembre 2001 et les interventions occidentales en représailles en Afghanistan, en Irak, au Mali ou en Libye, on a jamais enregistré autant de conversion dans le monde au salafisme, on a jamais autant parlé d’islam ou vendu autant de Coran et les mouvements islamistes radicaux n’ont jamais autant enregistré de victoires électorales ou militaires. Tout cela est bien intégré et planifié par l’Etat Islamique qui parie, comme les premiers conquérants musulmans du VII eme siècle sur la stratégie de la « sidération » et escompte créer partout la déstabilisation en sidérant l’opinion publique et en divisant les pays musulmans travaillés par des fragmentations tribales, religieuses (sunnites/non sunnites), ethniques (Arabes/Perses/Kurdes, etc) et politiques (islamistes/laïques). C'est donc un raisonnement stratégique théocratique, asymétrique et transnational qui les anime, ce qu’ont du mal à comprendre les Etats-Nations sécularisés.

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