La nouvelle imposture « Piketty »
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Thomas Piketty s’est trompé. Il ne veut pas l’avouer, mais il lui faut bien se dédouaner. Il le fait en publiant une Brève histoire de l’égalité (Paris, Éditions du Seuil, 2021, environ 350 pages) présentée explicitement par l’auteur comme un résumé de ses œuvres antérieures, notamment Le capital au XXIe siècle (2013) dont la thèse principale était que le capitalisme conduisait inéluctablement à toujours plus d’inégalité.
La tentative de démontrer que r est supérieur à g occupait une grande partie du Capital au XXIe siècle. »
Piketty théorisait jusque-là que le monde allait sans cesse, et depuis Jésus Christ, vers plus d’accroissement du capital entre les mains des plus riches et vers plus d’inégalité. Comme le rappelle Philippe Baccou dans une récente lettre de l’EPLF, dans Le capital au XXIe siècle, il notait ainsi « l’existence d’une « force de divergence fondamentale : r > g » (p. 53), où r est le taux de rendement du capital -tous revenus compris- et g le taux de croissance. Cette « inégalité fondamentale », nous expliquait-il sans craindre le pléonasme, « va jouer un rôle essentiel dans ce livre. D’une certaine façon, elle en résume la logique d’ensemble » (p. 55). La tentative de démontrer que r est supérieur à g, et que ce serait la source d’une loi tendancielle du capitalisme vers plus d’inégalité des revenus et des patrimoines, occupait une grande partie du Capital au XXIe siècle. »
Les critiques de cette thèse s’étaient multipliées. Dans notre ouvrage Anti-Piketty, mieux reçu aux Etats-Unis qu’en France, l’IREF avait, avec le concours d’une vingtaine d’universitaires du monde entier, dénoncé ardemment les erreurs économiques graves qui entachaient le raisonnement de Piketty dépravé par son idéologie égalitariste. Il lui était notamment reproché de raisonner sur vingt siècles sans avoir de données fiables pour la majorité d’entre eux et surtout de faire reposer sa thèse tout entière sur l’idée fausse que le taux de rendement du capital puisse être durablement plus élevé que le taux de croissance et que certains puissent s’enrichir sans fin.
Dans tout son nouvel ouvrage, Piketty ne fait pas une seule référence à sa formule « r > g ».
Mais désormais la thèse change : « Il existe, écrit-il, un mouvement historique vers l’égalité, au moins depuis la fin du XVIIIème siècle. Le monde du début des années 2020, aussi injuste puisse-t-il sembler, est plus égalitaire que celui de 1950 ou celui de 1900, qui étaient eux-mêmes par de multiples aspects plus égalitaires que ceux de 1850 ou 1780 » (p. 9). Dans tout son nouvel ouvrage, Piketty ne fait pas une seule référence à sa formule « r > g ». Il renonce, mais sans le dire, à cette thèse fumeuse dont il faisait le pilier central et quasi-unique de son argumentation. Plus de formule magique, plus de dérive fatale dans une hausse séculaire de l’inégalité. Le Piketty 2021 renie le Piketty 2013 et le proscrit. Il nous donne raison, mais ne le dit pas. Il ne reconnaît pas sa tromperie et c’est une manière de tromper plus encore ceux qu’il a abusés. Ce nouveau Lyssenko de l’économie laisse le monde continuer à lire ses anciens ouvrages fallacieux. La duperie devient alors imposture. Au demeurant, ses nouvelles théories ne semblent pas plus pertinentes.
Il reste un militant plus qu’un universitaire. Il veut poursuivre les luttes et révoltes sociales « qui ont permis de transformer les rapports de force et de renverser les institutions soutenues par les classes dominantes » (p.20/21). Il reporte son combat sur les champs médiatiques et chausse les bottes de l’anticolonialisme et de la lutte pour le climat qui « demandent une transformation d’ensemble du système économique et de la répartition des richesses, ce qui passe par le développement de nouvelles coalitions politiques et sociales à l’échelle du monde » (p. 330).
Comme dans ses précédents ouvrages, il se fonde sur des exemples historiques qu’il travestit volontiers.
Il en reste à son obsession égalitariste : « Sans une action résolue visant à comprimer drastiquement les inégalités socio-économiques, il n’existe pas de solution à la crise environnementale et climatique » (p. 43). Il prolonge des courbes pour prévenir des catastrophes climatiques sans avoir retenu les leçons des erreurs de Malthus, Mansholt et autres cavaliers de l’apocalypse. Comme dans ses précédents ouvrages, il se fonde sur des exemples historiques qu’il travestit volontiers, que ce soit sur le communisme léniniste (dont il dit les immenses avancées sociales !), l’indépendance de Haïti [1], l’importance des armées européennes [2], la surexploitation de la planète… Et bien sûr, il refuse de reconnaître le rôle fondamental de la liberté dans le développement économique et social du monde depuis la fin du XVIIIème siècle. Constatant que la Chine n’était pas beaucoup moins développée que l’Occident avant 1800, il accuse la semi colonisation occidentale d’en avoir entravé le développement quand c’est sans doute le manque d’esprit de liberté qui l’a empêché.
Une fois de plus, et là il n’a pas changé, tout son raisonnement ne vise qu’à « montrer en quoi l’Etat social et l’impôt progressif constituent bel et bien une transformation systématique du capitalisme ». Une transformation qu’il souhaite faire advenir avec des impôts allant jusqu’à 90% des tranches supérieures du revenu et du capital pour distribuer un revenu de base, donner un capital de départ à tous les jeunes, assurer une garantie d’emploi à tous dans une sorte de nouveaux « ateliers nationaux » dont on sait l’échec en 1848. Il veut « démarchandiser » la société en supprimant la propriété privée, sauf peut-être pour les petites entreprises tolérées dans un statut hybride de « propriété sociale », en souvenir sans doute de la NEP par laquelle Lénine avait sauvé l’Union soviétique de la famine totale en rétablissant le droit aux petits paysans de négocier une partie de leur production. Les grandes entreprises seraient pour leur part progressivement transférées majoritairement aux mains des salariés. Il réfléchit à l’idée « d’étendre à l’ensemble de l’organisation socio-économique le modèle des caisses de Sécurité sociale ». Chacun connaît bien entendu l’efficacité des coopératives et de la Sécu ! Mais l’idéologie refuse la réalité pour vivre d’utopie, ce qui en fait le danger devant son inéluctable insuccès dont elle accuse le monde entier jusqu’à lui faire subir des purges staliniennes.
[1] Il accuse (pp. 109 sq.) la France de la pauvreté endémique de Haïti, la première colonie ayant déclaré son indépendance en 1804, pour lui avoir imposé en 1825 une indemnité de dédommagement de 150 millions de francs-or représentant en 1825, dit-il, 300% du revenu national d’Haïti. Mais outre que ce montant a été réduit en 1838 à 90 millions et n’a été payé que de manière très échelonnée, il oublie de rappeler que cette somme des 150MF représentait le revenu annuel d’Haïti avant l’indépendance.
[2] Il dénonce la domination militaire sans partage des Européens à partir de la fin du XVIIIème siècle (p. 81) en comparant le pauvre Empire ottoman qui n’aurait eu que 150 000 soldats à sa disposition quand la France et l’Angleterre qui, réunis, avaient à peu près la même population, avaient alors 450 000 hommes de troupe. En réalité, l’Empire ottoman, qui avait assiégé Vienne à plusieurs reprise au cours des siècles précédents, était au début du XVIIIème siècle capable de réunir plus de 500 000 combattants en tenant compte de son armée d’active, son armée de réserve, les contingents fournis par les provinces et quelques autres troupes de la gendarmerie musulmane, des Tartares et des mercenaires (les Bachi-bouzouks).
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