par Florent Parmentier
S’il semble de plus en plus clair que le maître du Kremlin souhaite imposer un dilemme « guerre ou abandon occidental de l’Ukraine à la sphère d’influence russe », l’UE ne semble pas fixée sur sa stratégie.
Atlantico : Depuis plusieurs mois, le Kremlin fait chauffer la température de la politique étrangère de l’Union européenne. Le maître du Kremlin essaie-t-il d’imposer un dilemme type « guerre ou abandon occidental de l’Ukraine à la sphère d’influence russe » à l’Europe ?
Florent Parmentier : Notre analyse de la politique étrangère russe ne peut dépendre uniquement des volontés du Président russe : il existe des déterminants historiques, politiques, sociologiques et économiques qui forgent cette politique étrangère. Celle-ci est mise en œuvre par un appareil diplomatique, des forces armées afin de servir une stratégie dont la teneur peut varier au cours du temps.
Ainsi, on peut estimer que le but premier des dirigeants russes en 2014 n’était pas de lancer une guerre en Crimée et dans le Donbass, mais de conserver une influence déterminante sur l’ensemble de l’Ukraine, avec ses russophones et sa population orthodoxe. Les plans d’invasion existaient préalablement, mais ils n’étaient pas nécessairement la première option.
Les Européens ont néanmoins, suite à l’annexion de la Crimée, décidé d’opter pour une politique de sanctions, dont ils ont porté le coût économique plus que les Etats-Unis. Cette politique de sanctions a fait l’unanimité au sein de l’Union européenne, et a contribué à faire monter les coûts d’une prolongation du conflit en Ukraine.
On peut donc avancer que les dirigeants russes actuels sont bien conscients que l’alternative proposée ne se pose pas ainsi pour les Européens, qui ne peut l’accepter.
Quelles sont les différentes visions qui coexistent en Europe vis-à vis de la stratégie russe ? Qui pousse à quoi dans l'Union européenne ?
Les lignes de fracture au sein de l’Europe sont relativement stables dans le temps : les plus réticents et méfiants vis-à-vis de la Russie comptent la Pologne et les trois Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), tandis que la Grèce et Chypre se sentent plus proches de Moscou, Paris et Berlin cherchant à établir un partenariat avec la Russie tenant compte des inquiétudes de certains Etats-membres et des intérêts économiques et politiques.
Toutefois, en dépit de cette hétérogénéité de départ, la réaction vis-à-vis d’une politique russe agressive (empoisonnement de Navalny, affaires d’espionnage, chantages, etc.) est devenue plus cohérente au fil du temps.
Face à cette agressivité venue de l’Est, l’UE a-t-elle fixé une stratégie claire face à Vladimir Poutine ? Qu’est ce qui l’en empêche ? La Russie pense-t-elle, à raison, que l’UE n’osera pas intervenir car elle a peur de le faire ?
Avoir une stratégie claire suppose de partager des représentations et des intérêts. Or, il n’y a pas d’alignement des 27 sur un programme commun positif, en dehors de celui (négatif) de faire face lorsque la Russie opte pour une politique plus agressive. On peut naturellement le regretter lorsque l’on observe la rapidité d’exécution de la Russie, avec un centre impulsant des décisions claires.
Toutefois, la puissance ne se limite pas seulement à la dimension militaire. Le vaccin Sputnik l’illustre : pionnière scientifique, la Russie a pu exporter son produit dans plus de 70 pays, mais n’a pas pu obtenir d’autorisation de mise sur le marché de l’UE. Pire : le pouvoir russe a été incapable de « vendre » le virus à sa propre population.
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De manière similaire, on peut dire que les Européens ne peuvent dissuader militairement les Russes d’intervenir en Ukraine, à la différence des Etats-Unis, mais ils peuvent rendre la présence russe en Ukraine extrêmement coûteuse, aussi bien en réputation qu’en matière économique et politique. Et cette force de dissuasion compte, et ne doit pas être sous-estimée.
Alors que Joe Biden et les États-Unis se focalisent sur les tensions avec la Chine, la Russie a-t-elle les mains libres pour dérouler sa stratégie en Europe ? Sans voix commune, l’Europe est-elle condamnée à subir les coups de butoirs de la Russie à ses frontières ?
Il est vrai que depuis Obama, et sous Trump également, l’attention portée à la montée en puissance de la Chine prend une nouvelle ampleur, poussant presque la Russie dans une position secondaire. Les priorités des Etats-Unis ne sont clairement plus en Europe, ce qui oblige les Européens à réagir. Soit en stigmatisant la menace russe de manière à convaincre les Américains de rester en Europe (et se montrer les « meilleurs alliés »), soit en « musclant » le discours sur la souveraineté européenne, au risque de déplaire à Washington mais d’apparaître comme des interlocuteurs pertinents. Les deux approches co-existent, la seconde étant notamment portée par la France.
Les Européens sont certes mal armés pour répondre militairement à une attaque en Ukraine (ils le sont en revanche entre Etats-membres, principe de solidarité oblige), mais ont d’autres moyens de pression pour peser sur les calculs des élites russes.
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