Interview de Jean-Baptiste et Marie Maillard, auteurs de « L’école à la maison, une liberté fondamentale » (Ed. Artège).
par Philbert Carbon
Jean-Baptiste et Marie Maillard ont trois fils qu’ils scolarisent à leur domicile. Quand Emmanuel Macron a annoncé le 2 octobre 2020 que l’école à la maison serait désormais interdite, sauf à de rares exceptions, pour « lutter contre les séparatismes », ce fut la douche froide. Après un moment de sidération, ils ont décidé de se battre en créant l’association « Liberté Éducation » et en écrivant un livre. Nous avons échangé avec eux pour mieux comprendre leur combat. Propos recueillis par Philbert Carbon.
Philbert Carbon : Vous avez choisi de faire l’école à la maison. Pourquoi ?
Marie Maillard : Nous avons commencé l’école à la maison après avoir découvert la pédagogie Montessori, à laquelle je me suis formée progressivement. Nous voulions que notre aîné apprenne de cette manière à lire, écrire, compter… Et puis nous nous sommes pris au jeu, et avons souhaité continuer, y compris pour ses deux frères, mais en croisant avec d’autres pédagogies selon les matières et les enfants.
PC : Quels bénéfices vos enfants en tirent-ils ?
Jean-Baptiste Maillard : L’école à la maison, outre ses bons résultats (il s’agit finalement de cours particuliers !), permet de dégager beaucoup de temps libre pour les enfants. Pas de devoirs le soir ni le week-end, mais du temps pour jouer, pour lire, pour apprendre un instrument. L’un de nos garçons fait du violon, les deux autres du piano au Conservatoire régional de musique. Ils se débrouillent plutôt bien. Ils ont aussi plus de temps pour faire du sport, l’un d’entre eux combine même tennis et escrime.
PC : Quand Emmanuel Macron a annoncé, dans un discours aux Mureaux sur la « lutte contre les séparatismes », vouloir interdire l’école à la maison, quelle a été votre réaction ?
MM : Nous étions sidérés, abasourdis, anéantis. Nous avions bâti tout un projet familial de vie, mené avec succès depuis plus de dix ans et, du jour au lendemain, le Président de la République vous annonce que c’est terminé, à moins que votre enfant puisse justifier d’un handicap ! Et tout cela, à cause d’un soi-disant risque de terrorisme, alors qu’aucun chiffre n’existe sur le sujet, même aux ministères des Armées ou de l’Intérieur, comme notre livre le rapporte.
PC : Vous avez été particulièrement choqués par certains propos tenus par des ministres après cette annonce. Quels étaient-ils ?
JBM : Après son discours aux Mureaux, Emmanuel Macron a déclaré que « la place d’un enfant est à l’école », ce qui sous-entend qu’il n’y a aucun autre choix possible. Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education nationale a répété, comme un mantra, pendant toute la durée de la bataille parlementaire : « L’école, c’est bon pour les enfants », sous-entendant que tout autre manière d’instruire ses enfants n’est pas bonne. Quant à la rapporteuse du projet de loi à l’Assemblée nationale, Anne Brugnera, elle a affirmé au journal Le Monde que « faire l’école à la maison, c’est du séparatisme ». C’est quand même un peu court comme argumentation.
MM : Affirmer sans nuances « l’école, c’est bon pour les enfants », c’est oublier que 700 000 enfants sont harcelés chaque année à l’école et qu’un certain nombre d’entre eux s’en sortent grâce à l’école à la maison. Faudrait-il les priver de cette planche de salut ? Car les décrets d’application de la loi, qui ont fuité cette semaine dans la presse, sont sans ambiguïté : il faudra désormais obtenir « une attestation du directeur de l’établissement d’enseignement public ou privé dans lequel est inscrit l’enfant » et tout document utile établissant « que son intégrité y est menacée ». Au bout du compte, il s’agit d’une autorisation d’autorisation qui risque d’être difficile à obtenir quand on sait que les chefs d’établissements s’opposent souvent à cette solution d’une instruction en famille. Ils seront ici juges et parties !
JBM : L’un des plus ardents défenseurs de l’école à la maison à l’Assemblée nationale, le député Grégory Labille, ancien directeur d’école et enseignant, vient de publier un livre-témoignage intitulé « Non, Monsieur le Ministre, l’école n’est pas bonne pour tous les enfants ». Et quand l’école est bonne pour les enfants, l’école « à la maison » peut aussi être bonne pour eux. N’est-ce pas aux parents de choisir la solution qui leur semble la meilleure pour chacun d’eux ? Personnellement, j’apprécie que mes enfants ne tombent pas dans une éducation uniforme, et bénéficient d’une expérience différente des autres qui leur permette de développer leurs talents, d’être uniques. Dans le monde du travail qui les attend, ce sera, je crois, un atout. Ils pourront apporter leur créativité, fruit de la liberté offerte par l’école à la maison.
PC : Suite à la déclaration du Président de la République, vous avez pris la décision de vous battre en créant une association, Liberté éducation. Quelles sont ses actions ?
JBM : Nous avons créé cette association pour faire entendre la voix des familles qui sont plus de 1 000 aujourd’hui à nous avoir rejoint. Nous avons été auditionnés à l’Assemblée nationale et au Sénat pendant la phase d’examen parlementaire du projet de loi. Nous nous sommes rapprochés d’autres associations historiques de l’instruction en famille pour être encore plus mobilisés auprès des parlementaires. Une mobilisation qui a payé puisque nous avons gagné plus ou moins trois ans dans l’application de la loi. Nous poursuivons la bataille dans la perspective de l’élection présidentielle (plusieurs candidats nous ont demandé nos arguments). Avec nos avocats, nous préparons par ailleurs des actions en justice contre les décrets d’application. Comme nous l’affirmions au moment du vote de la loi, en raison du risque d’arbitraire causé par des motifs d’autorisation beaucoup trop restrictifs, un très lourd contentieux risque d’advenir. Par exemple, les familles vont devoir justifier chaque année d’un projet pédagogique avec un grand nombre de pièces justificatives à fournir avant le 31 mai de l’année précédant une rentrée en instruction en famille, et une autorisation délivrée – dans le meilleur des cas – au cœur de l’été, ce qui est très tardif et va générer beaucoup de stress. De plus, pour être autorisé à pratiquer l’instruction en famille, il faudra aussi fournir un emploi du temps, le rythme et la durée des activités : c’est le risque de nouvelles et graves atteintes à la liberté pédagogique des parents !
PC : Vous avez aussi écrit un livre dans lequel vous rappelez l’importance du phénomène de l’école à domicile dans le monde.
JBM : En effet, notre premier chapitre est un tour du monde de l’école à la maison, qui est un phénomène mondial encore méconnu mais en plein développement et qui a été encore accéléré par la pandémie. En France, les chiffres sont aussi à la hausse, et ce malgré le vote de la loi. En 2011, il y avait 5 000 enfants scolarisés à domicile. Ils étaient 62 000 lors de l’année scolaire 2020-2021. Ils seront sans doute encore plus nombreux pour cette année 2021-2022. En fait, beaucoup de parents ont franchi le pas à la suite d’une expérience heureuse pendant le confinement. D’autres ne souhaitent pas scolariser toute la journée leurs enfants de plus de trois ans comme le leur impose la loi de 2019 à moins de pratiquer l’instruction en famille. Enfin de nombreux autres parents souhaitent obtenir la fameuse dérogation promise par la nouvelle loi si leurs enfants sont instruits en famille en 2021-2022, à condition de contrôles académiques réussis.
PC : Vous classez les pays en fonction de leur législation sur le sujet. La France n’était pas très bien classée. Ne risque-t-elle pas, avec cette loi, de rejoindre les pays les moins tolérants ?
MM : Avant cette loi, la France avait un dispositif de double contrôle déjà très strict. L’inspection académique contrôle les connaissances lors d’une visite qui concerne à la fois le parent-instructeur et l’enfant (dans le système scolaire, l’enseignant et l’élève ne sont pas inspectés en même temps) et qui a lieu chaque année (contre une inspection tous les cinq ans en moyenne dans l’Éducation nationale). De plus, la mairie contrôle, avec l’aide le plus souvent d’une assistante sociale, les conditions dans lesquelles l’enfant étudie. Malgré cela, le ministère a décidé de passer à un régime d’autorisation qui est en réalité une interdiction déguisée de l’instruction en famille, puisque les deux tiers des enfants seront renvoyés à l’école contre l’avis de leurs parents, selon l’étude d’impact du gouvernement. La France rejoint ainsi les pays les plus restrictifs au monde, à savoir le Pakistan, la Chine, Cuba et l’Arabie Saoudite.
PC : La scolarisation à domicile fait l’objet de critiques récurrentes (désocialisation des enfants, parents insuffisamment formés, programmes mal suivis, etc.). Ces critiques sont-elles toutes récusables ?
JBM : Pour notre livre, nous avons interrogé de nombreux chercheurs en sciences sociales. Tous arrivent au même résultat : « les enfants instruits en famille sont aussi bien, voire mieux socialisés que ceux des écoles publiques ». Ce résultat peut s’expliquer par le temps consacré aux activités extérieures qui est généralement très important lorsqu’on fait l’école à la maison.
MM : Quant aux parents qui seraient insuffisamment formés ou les programmes mal suivis, il suffit de se référer aux résultats : 98% des enfants scolarisés à la maison ont réussi leur premier contrôle de connaissances, d’après la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO). Je me souviens très bien de notre premier contrôle. Nous étions tous un peu stressés. En sortant, mon fils m’a dit : « C’était vraiment trop facile ! ». Depuis nous y allons très décontractés !
PC : Ce que vous mettez particulièrement en avant dans votre livre, c’est le fait que, contrairement à ce qu’affirment Emmanuel Macron et ses ministres, aucun lien ne peut être fait entre « séparatisme » et école à la maison. Pouvez-vous expliquer cela ?
JBM : Si par « séparatisme », on veut dire « radicalisation », il suffit de lire notre enquête auprès des chercheurs spécialistes du sujet : il n’y a pas de chiffres ! Le dernier rapport de la DGESCO sur l’instruction en famille, que les députés ont réclamé pendant toute la durée de la bataille parlementaire pour ne pas voter à l’aveugle, a été rendu public en septembre, après la promulgation de la loi ! Il fait état de 32 enfants renvoyés à l’école, soit 0,09 % des enfants concernés. Et aucun ne l’a été pour « séparatisme », le mot n’étant même pas présent dans le rapport !
PC : Vous mettez en garde également : supprimer l’école à la maison ne pourrait qu’un début pour réaliser le « grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale » dont rêvaient les socialistes en 1981.
JBM : Je crois qu’il ne faudrait pas essayer de rejouer le match ! Cette question a déjà été tranchée lors des manifestations monstres qui ont fait plier Mitterrand et son gouvernement. Le mot « Liberté » était d’ailleurs affiché en grand sur les podiums de l’époque !
MM : Mes enfants ne vont pas à l’école, je n’ai donc aucune critique à formuler à l’encontre de celle-ci. Je sais que bien des professeurs sont remarquables. Mais pourquoi s’attaquer à ceux qui font « consciencieusement l’école à la maison » comme le disait Jules Ferry en 1882 en rendant l’instruction obligatoire et non l’école ?
PC : C’est pourquoi, selon vous, tous les parents et les grands-parents, quels qu’ils soient, devraient se mobiliser contre cette loi. Expliquez-nous pourquoi il faut se battre à vos côtés ?
MM : Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants : aucune loi, même constitutionnelle, n’aurait raison d’affirmer le contraire. Prôner l’inverse, c’est mettre le doigt dans un engrenage dont on ne sait où il pourrait nous mener. La plupart des régimes totalitaires ont interdit l’école à la maison. De plus, l’instruction en famille est un contre-pouvoir éducatif, qui protège aussi l’école libre sous contrat et hors-contrat. Pour moi, interdire l’école à la maison est contraire à la République, et à tout ce qu’elle prône de respect, de liberté, de bienveillance.
JBM : Ce régime d’autorisation de l’instruction en famille voté par la majorité LREM reste dans son principe contraire à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme qui indique : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » (article 26.3). Nous comptons sur les candidats à l’élection présidentielle pour défendre ce droit fondamental et inaliénable de tous les parents !
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