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lunes, 27 de septiembre de 2021

Les grands penseurs des pays foudroyés par l’occupation communiste et, pour plusieurs,par deux totalitarismes l’un après l’autre...

 Chantal Delsol : La vie de l’esprit en Europe centrale et orientale depuis 1945

En ce mois d’avril 2021 paraissent deux ouvrages dirigés par des membres de l’Académie dans le cadre de travaux  scientifiques ayant l’un et l’autre bénéficié du soutien de la Fondation Simone et Cino Del Duca : L’irrationnel aujourd’hui par Jean Baechler (voir article) et La vie de l’esprit en Europe centrale et orientale – dictionnaire encyclopédique, par Chantal Delsol et Joanna Nowicki.

La Vie de l’esprit en Europe centrale et orientale depuis 1945 (Paris, Éditions du Cerf), ouvrage collectif codirigé par Chantal Delsol et Joanna Nowicki, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université de Cergy-Pontoise, est un dictionnaire encyclopédique des intellectuels de « l’autre Europe », élaboré par 150 spécialistes, qui entend « rétablir les ponts rompus par la méconnaissance pour en finir avec les préjugés réciproques et réinstaurer un indispensable dialogue ».

Les deux directrices de l’ouvrage ont placé une pensée de Jules Michelet au seuil de leur introduction : « L’Europe n’est point un assemblage fortuit, une simple juxtaposition de peuples, c’est un grand instrument harmonique, une lyre, dont chaque nationalité est une corde et représente un ton. Il n’y rien là d’arbitraire ; chacune est nécessaire en elle-même, nécessaire par rapport aux autres. En ôter une seule, c’est altérer tout l’ensemble, rendre impossible, dissonante et muette, cette gamme des nations. » (Légendes démocratiques du Nord, PUF, 1968, p. 12).

Cette somme encyclopédique de 1 000 pages se donne le projet ambitieux d’étudier la vie des idées depuis 1945 dans ce groupe de pays intermédiaires qui se trouvent entre l’Europe occidentale et la Russie, tous proprement et fondamentalement européens, c’est-à-dire marqués par la culture de liberté issue du judéo-christianisme et de la révolution des Droits de l’homme et qui, au XXe siècle, ont été foudroyés par l’occupation communiste et, pour plusieurs, ont été écrasés par deux totalitarismes l’un après l’autre.

Force est de constater que les grands penseurs de l’Europe centrale restent insuffisamment connus du public français et que leurs textes ne sont que partiellement disponibles en traduction. Pire, alors que les milieux intellectuels s’étaient portés avec chaleur à la rencontre des « dissidents », les retrouvailles n’ont pas eu lieu, ni après la chute du mur de Berlin – en dépit du grand nombre de publications qui l’accompagnèrent, tel Le Messager européen -, ni après l’élargissement de l’Union européenne. Les pays d’Europe de l’Ouest qui, en travaillant à l’élargissement, avaient le sentiment de faire rentrer dans la mère-patrie des périphéries qui deviendraient enfin heureuses en se ralliant à leur manière de penser, en ont été pour leurs frais. Les pays d’Europe de l’Est, qui se savent petits mais ne se considèrent pas comme des provinces attardées, ne se sont pas montrés prêts à se mettre en posture d’élèves obéissants.

A l’occasion de la parution de l’ouvrage, dans une tribune publiée mercredi 15 avril dans Le Figaro (Vox), « En Europe centrale, la modernité exerce aussi ses effets mais ne règne pas sans partage », Chantal Delsol déplore que l’Europe de l’Ouest continue de manifester à leur égard une condescendance teintée d’ignorance. Ce désintérêt pourrait tenir à une divergence de perspectives : là où nos sociétés, bercées par les Trente Glorieuses, ont pris l’habitude de chérir la liberté comme une promesse de bonheur facile à acquérir, les sociétés d’Europe de l’Est, grandies dans l’expérience du totalitarisme, ont développé un ethos grave, voire tragique, et une certaine crainte des perversions de la modernité (le communisme n’étant, pour Havel, que la caricature de la modernité et non son envers). En outre, la tradition romantique à laquelle ces sociétés, comme l’Allemagne, se rattachent, les oriente vers une modernité  circonspecte, apte à éviter le piège de la raison toute puissante. Au train où vont les choses, le modèle enviable de l’ivresse d’une liberté individuelle sans responsabilité s’imposera-t-il partout ou bien l’Europe centrale restera-t-elle « un pôle romantique apte à nous faire réfléchir sur nos propres dérives ? ».

En déposant l’ouvrage sur le bureau de l’Académie en séance, le lundi 31 mai 2021, le chancelier Gabriel de Broglie a rappelé le message frappant que les académiciens de l’Est avaient exprimé lors de la rencontre des Académies européennes qu’il avait organisée pour la première fois en 2007 : il leur était plus difficile d’accepter leur mission dans le grand mouvement de libération désordonné que sous le régime communiste. Et il avait conclu : « Ce livre n’est pas un livre qui se lit, mais qui se consulte pour la réflexion, la compréhension, les propositions et l’action de tous ceux, chercheurs, experts, diplomates, qui participent à la construction de la nouvelle Europe et à l’évolution des relations internationales.« 

Télécharger le rapport du Chancelier de Broglie prononcé en séance le 31 mai 2021

Source: Académie des Sciences Morales et Politiques

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