Energie : le suicide collectif européen
Michel Gay et Jean-Pierre Riou
L’équilibre mondial des relations entre les nations est sous tendu par une guerre féroce, celle de l’accès à l’énergie. En ruinant son système électrique par manque de vision stratégique, l’Europe ne semble pas prendre la mesure des conséquences de son impéritie.
La guerre du gaz
L’acheminement de la production du plus gros gisement de gaz au monde (South Pars en Iran) n’est pas totalement étranger à la guerre en Syrie.
En 2000, l’entreprise TOTAL en avait négocié la majorité de l’exploitation. Depuis, elle a été attaquée pour corruption en justice. Si elle a pu clore la procédure (américaine) en versant 398 millions de dollars, les récentes sanctions des États-Unis contre l’Iran ont fini par avoir raison des prétentions de TOTAL sur ce fabuleux gisement. Ces rétorsions commerciales contre l’Iran sont providentielles au regard des intérêts gaziers américains.
L’axe germano-russe
En butte aux pressions américaines, l’Allemagne recherche depuis longtemps un partenariat privilégié avec la Russie en développant un nouveau gazoduc, appelé « Nord Stream 2 », reliant directement l’Allemagne à la Russie en évitant l’Ukraine.
Ce projet est porté par l’ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder qui s’est reconverti dans le gaz russe, avec son vice chancelier Joschka Fischer, dès le lendemain de sa défaite politique. Il est aujourd’hui président du conseil d’administration de la compagnie pétrolière russe Rosneft. Ses réformes avaient auparavant assuré l’avenir du gaz, en soutenant le plan de sortie du nucléaire allemand et la promotion des énergies intermittentes (éolien et solaire) dont le faible temps de fonctionnement assure la dépendance aux centrales d’appoint… au gaz et aussi au charbon / lignite allemand.
L’enjeu est d’importance pour la Russie, mais aussi pour l ’Allemagne qui se prépare à tenir sur son sol les vannes du gaz européen à l’horizon 2035.
Selon le rapport allemand EWI, la construction de Nord Stream 2 permettrait à l’Allemagne de devenir exportateur net de gaz vers la République tchèque, l’Autriche, la Suisse, la France, la Belgique et les Pays-Bas.
Un parc nucléaire qui fait de l’ombre à l’Allemagne
Mais la France dispose encore d’un double avantage sur ses voisins grâce à son parc nucléaire :
1) une moindre dépendance énergétique (46% contre 61,9% en Allemagne selon la Commission européenne),
2) de faibles émissions de CO2, ce qui place l’économie française à l’abri de l’évolution de la taxe carbone.
L’enjeu de la taxe carbone
Un relèvement significatif de la taxe carbone est inacceptable pour l’Allemagne tant que la production électrique française reste à 75 % nucléaire, en raison de l’avantage considérable que celle-ci lui confèrerait.
Le rapport franco allemand Agora Iddri « L‘Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 » mentionne (page 91) :
« L’évolution du parc de production nucléaire en France influera sur la rentabilité du parc à charbon en Allemagne. Le nucléaire a un coût marginal plus faible que le charbon, si bien que sa production peut se substituer à celle des centrales à charbon lorsque qu’il reste des capacités d’interconnexion disponibles. À l’inverse, si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la compétitivité des centrales à charbon en Allemagne sera améliorée ».
Quand on veut tuer son chien …
La réduction de la production nucléaire française sera immanquablement compensée par une augmentation de celle du gaz.
Dans cette véritable guerre économique avec l’Allemagne, la pression de ce pays est à craindre, notamment par l’intermédiaire de l’Office franco allemand pour la transition énergétique (OFATE) dont les bureaux sont implantés dans les locaux mêmes du Ministère français de l’écologie solidaire. Parallèlement, des organismes allemands, tels que la fondation H. Böll financent des sondages permettant de diffuser l’information que les Français seraient opposés au nucléaire. Quand il s’agit de tuer le chien des autres, on peut aussi l’accuser d’avoir la rage.
La future dépendance énergétique
La maîtrise de l’énergie transformera l’échiquier politique de demain. L’axe germano-russe a déjà placé ses pièces maitresses.
La Russie, l’Iran et le Qatar détiennent la majorité des ressources en gaz de la planète. Ils représentent une « Troïka du gaz » dont les sanctions américaines ne parviennent pas à entamer les liens.
Les dernières sanctions des Américains contre l’Iran leur auront cependant permis d’évincer TOTAL.
La récente mondialisation du marché du gaz, permise par les progrès de son transport maritime sous sa forme liquéfiée (GNL), bouleverse la donne de l’énergie. Elle permet notamment aux États-Unis d’exercer leur influence sur des pays lointains, et notamment sur l’Europe.
Les besoins grandissants des pays émergents laissent également augurer des tensions sur le marché du gaz, sur fond d’épuisement des réserves mondiales.
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