Le mauvais romantisme révolutionnaire qui honore des sanguinaires
Dans une recension (1) de l'ouvrage Les grands vaincus de l’histoire, co-écrit par Jean-Christophe Buisson et Emmanuel Hecht, Jean Sévillia note :
"[...] Il est assez étonnant, à cet égard, de constater que subsistent en France tant de rues, de boulevards et d’avenues qui portent le nom de Lénine. Un chercheur comme Stéphane Courtois a récemment prouvé, dans la biographie qu’il lui a consacrée (Lénine, l’inventeur du totalitarisme, Perrin), que c’est le leader bolchevik qui a voulu la guerre civile en Russie, la terreur et la dictature du parti communiste érigé en parti unique. Dans la même catégorie des monstres bénéficiant d’une inépuisable – et inexplicable – indulgence en Occident, se trouvent deux personnages ciblés par Jean-Christophe Buisson et Emmanuel Hecht. D’abord Trotski. Agitateur de la première heure, rallié aux bolcheviks en 1917, créateur de l’Armée rouge, en lutte ouverte, après la mort de Lénine, contre son rival Staline, celui-ci sera expulsé d’URSS en 1929 et finalement assassiné au Mexique, en 1940, sur ordre de Moscou. « Trotski aura une seconde vie, soulignent Buisson et Hecht. La mort métamorphosera l’artisan de la révolution d’Octobre et l’impitoyable chef de l’Armée rouge en un pur esprit, porteur d’un communisme alternatif “ à visage humain ” ». Deuxième cas typique de mauvais romantisme révolutionnaire évoqué dans les Grands vaincus de l’histoire, celui d’Ernesto Guevara, dit le Che. Celui dont l’effigie orne les tee-shirts vendus à la sauvette dans le métro fut surnommé le « petit boucher de la Cabaña » parce que, dans cette prison de La Havane, 200 condamnations à mort d’opposants politiques lui furent directement imputables pendant la révolution cubaine. Faux médecin, ministre incompétent, guérillero raté en Afrique puis en Bolivie, le Che fut un psychopathe sanguinaire : l’ériger en modèle politique est une des plus belles impostures de notre époque, qui n’en manque pourtant pas.Dans la définition du maudit, l’idéologie joue donc un rôle. Au regard du gauchisme culturel qui continue largement de dominer les milieux intellectuels, universitaires et médiatiques, il vaut mieux, selon les critères du politiquement correct, être Robespierre que Charette, ou Tito que Franco, parce qu’un dictateur de gauche est excusable et un dictateur de droite impardonnable.[...] D’autres sont maudits et vaincus parce qu’ils ont fait le mauvais choix au mauvais moment, si bien que cette malédiction emporte toute leur vie, quels que soient leurs mérites antérieurs. Il est ainsi difficile, de nos jours, d’expliquer que Philippe Pétain a été un grand chef de guerre en 14-18 sans paraître vouloir absoudre le maréchal de 40-45, ce qui, historiquement parlant, est pourtant absurde. Citons encore l’exemple de Raoul Salan, partout qualifié de général putschiste et de chef de l’OAS, ce qu’il fut en effet, mais ne saurait occulter qu’il fut l’officier le plus décoré de France, ayant exercé les plus hauts commandements à la Libération, en Indochine, puis en Algérie.Certains, honorés ici comme des héros, sont là maudits comme des criminels. Simon de Monfort, qui s’était distingué en Terre Sainte lors de la quatrième croisade, a mauvaise presse entre Toulouse et Béziers, aujourd’hui encore, pour avoir dirigé la croisade contre les Albigeois. Le général Turreau, dont le nom est gravé sur l’Arc de Triomphe au titre de ses campagnes sous la Révolution et le Consulat, est avec raison honni en Vendée pour avoir conduit les « colonnes infernales » qui ont ravagé la région en 1794.Il est des vaincus dont la malédiction s’accroît a posteriori, par contagion idéologique. Ainsi le général Lee, chef des armées confédérées pendant la guerre de Sécession, à qui son homologue et adversaire, le général Grant, chef des armées de l’Union, rendit hommage, en 1865, lorsqu’il effectua sa reddition. Cet hommage du Nord vainqueur au Sud vaincu est refusé au général Lee, un siècle et demi plus tard, puisque ses statues sont déboulonnées aux Etats-Unis.En sens inverse, certains personnages, autrefois maudits, ne déchaînent plus les passions. Qui se souvient de la haine entourant Napoléon III chez les républicains du XIXe siècle ? La Russie, en 2018, commémore l’assassinat du tsar Nicolas II. Ses erreurs politiques, avérées, ne méritaient pas la mort, et sûrement pas celle de sa famille, massacrée dans des conditions ignobles. Un jour peut-être, les Français reconnaîtront que Louis XVI, quelles qu’aient été ses fautes, ne méritait pas plus le sort que la Convention lui a fait subir. Le malheureux, dans tous les cas, a été vaincu. Pourquoi faudrait-il en plus qu’il soit éternellement maudit ?"
(1) - Les Maudits de l’Histoire
Un essai de Jean-Christophe Buisson et Emmanuel Hecht met en scène le destin tragique de treize grands vaincus de l’Histoire, de Hannibal à Nixon en passant par Vercingétorix, Cléopâtre, le général Lee, le Che ou Trotski. Chez certains s’est ajoutée à l’humiliation de la défaite politique ou militaire l’infamie d’une réputation noire entretenue par leurs vainqueurs, faisant d’eux des figures maudites. A tort ou à raison.
Au cœur de l’été 1974, le 8 août, la nouvelle avait éclaté comme une bombe : Richard Nixon, le président des Etats-Unis, donnait sa démission. Elu une première fois en 1968, réélu en 1972, il n’avait même pas effectué la moitié de son second mandat. Deux ans plus tôt, il avait été embarqué dans le scandale du Watergate, une affaire d’écoutes illégales impliquant son administration. Après avoir prétendu être étranger à la tentative d’espionnage par micros du siège du parti démocrate, le président républicain avait dû se séparer, en 1973, de ses plus proches collaborateurs. Accumulant mensonges et maladresses, harcelé par la presse, il n’avait pu empêcher, ensuite, que soient rendu public l’enregistrement de conversations dans lesquelles il apparaissait odieux. Menacé d’impeachment, Nixon avait préféré démissionner. Il était pourtant le président qui, tout en donnant à l’armée sud-vietnamienne les moyens de résister à la poussée communiste, avait dégagé son pays de l’interminable guerre du Vietnam. En 1972, il avait doublement rompu avec la Guerre froide en signant avec Moscou un accord de limitation des armements nucléaires et en rencontrant Mao à Pékin. Ses mesures de redressement économique, par ailleurs, avaient permis une politique particulièrement généreuse en faveur des pauvres et des noirs. « Le bilan diplomatique et social du trente-septième président des Etats-Unis devrait faire pâlir d’envie tous ses successeurs », soulignent Jean-Christophe Buisson et Emmanuel Hecht, déplorant que Nixon, ce « virtuose de la politique », soit tombé « sur une affaire de pieds nickelés comme le Watergate ».
Respectivement directeur adjoint du Figaro Magazine et journaliste et éditeur, Buisson et Hecht, deux passionnés d’histoire, présentent, dans un ouvrage rédigé à quatre mains et superbement écrit, les destins brisés de« grands vaincus de l’histoire » (1). Les deux coauteurs ont choisi, à travers les siècles et les continents, onze hommes et deux femmes dont ils brossent de passionnants portraits. Treize figures qui ont en commun d’être passées de la gloire à la déchéance : outre Nixon, Hannibal, Vercingétorix, Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Montezuma, le duc de Guise, le Grand Condé, Charette, le général Lee, Trotski, Tchang Kaï-chek et Che Guevara.
Etre vaincu après avoir été victorieux, franchir la courte distance qui sépare le Capitole de la roche Tarpéienne, c’est finir comme un maudit. Car la postérité se contente souvent de reproduire paresseusement les condamnations prononcées hier. Ajoutons que l’Histoire est écrite par les vainqueurs, ce qui laisse peu de place, au tribunal de la mémoire, pour la défense des vaincus. Certaines défaites, certes, étaient indispensables pour le bien de l’humanité, telle celle du IIIe Reich en 1945, si bien que la malédiction qui entoure les noms de Hitler et de ses complices, Goebbels, Goering ou Himmler, est à l’évidence justifiée. Mais rares sont, dans l’Histoire, les cas aussi tranchés.
Il est ainsi des personnages dont la mémoire collective a fait des monstres, mais pour lesquels les historiens pondèrent un jugement aussi abrupt. Par exemple Attila. Sans oublier l’expédition qui a conduit ce dernier, en 451, à faire régner la terreur jusqu’à Reims, Paris et Orléans, avant qu’il ne soit battu lors de la bataille des champs Catalauniques, près de Troyes, et sans nier que les Huns étaient de redoutables guerriers, les médiévistes, aujourd’hui, montrent que l’Empire hunnique avait parfois entretenu des rapports cordiaux avec l’Empire romain d’Occident, lui fournissant des soldats-mercenaires, ou que la cour nomade d’Attila, roi qui savait le grec et le latin, avait émerveillé un ambassadeur de Constantinople. Autant d’éléments qui contredisent le cliché convenu du sauvage surgi du fond des steppes en vue de détruire la civilisation.
Autre exemple, celui de Rodrigue Borgia, élu pape, en 1492, sous le nom d’Alexandre VI. Père de six enfants obtenus de deux maîtresses différentes, il leur octroiera les plus grands privilèges, et régnera par la force, en ne refusant pas d’acheter ou de faire tuer ses adversaires. Les spécialistes rappellent toutefois que les papes de la Renaissance, souverains temporels, usaient du pouvoir, à l’époque, comme tous les princes de la principauté italienne, celle-ci étant une mosaïque d’Etats rivaux. Et qu’Alexandre Borgia, stigmatisé pour sa vie privée scandaleuse, a laissé un bilan positif à la tête de l’Eglise : politique habile, administrateur prudent et mécène généreux, ce pape a renforcé les missions, combattu l’hérésie, encouragé les théologiens et soutenu les écoles spirituelles alors naissantes.
Il existe donc des maudits qui ne sont pas tout à fait les monstres de la rumeur publique. En sens inverse, il existe des monstres qui ne sont pas vraiment maudits. Il est assez étonnant, à cet égard, de constater que subsistent en France tant de rues, de boulevards et d’avenues qui portent le nom de Lénine. Un chercheur comme Stéphane Courtois a récemment prouvé, dans la biographie qu’il lui a consacrée (Lénine, l’inventeur du totalitarisme, Perrin), que c’est le leader bolchevik qui a voulu la guerre civile en Russie, la terreur et la dictature du parti communiste érigé en parti unique. Dans la même catégorie des monstres bénéficiant d’une inépuisable – et inexplicable – indulgence en Occident, se trouvent deux personnages ciblés par Jean-Christophe Buisson et Emmanuel Hecht. D’abord Trotski. Agitateur de la première heure, rallié aux bolcheviks en 1917, créateur de l’Armée rouge, en lutte ouverte, après la mort de Lénine, contre son rival Staline, celui-ci sera expulsé d’URSS en 1929 et finalement assassiné au Mexique, en 1940, sur ordre de Moscou. « Trotski aura une seconde vie, soulignent Buisson et Hecht. La mort métamorphosera l’artisan de la révolution d’Octobre et l’impitoyable chef de l’Armée rouge en un pur esprit, porteur d’un communisme alternatif “ à visage humain ” ». Deuxième cas typique de mauvais romantisme révolutionnaire évoqué dans les Grands vaincus de l’histoire, celui d’Ernesto Guevara, dit le Che. Celui dont l’effigie orne les tee-shirts vendus à la sauvette dans le métro fut surnommé le « petit boucher de la Cabaña » parce que, dans cette prison de La Havane, 200 condamnations à mort d’opposants politiques lui furent directement imputables pendant la révolution cubaine. Faux médecin, ministre incompétent, guérillero raté en Afrique puis en Bolivie, le Che fut un psychopathe sanguinaire : l’ériger en modèle politique est une des plus belles impostures de notre époque, qui n’en manque pourtant pas.
Dans la définition du maudit, l’idéologie joue donc un rôle. Au regard du gauchisme culturel qui continue largement de dominer les milieux intellectuels, universitaires et médiatiques, il vaut mieux, selon les critères du politiquement correct, être Robespierre que Charette, ou Tito que Franco, parce qu’un dictateur de gauche est excusable et un dictateur de droite impardonnable.
Il est également des maudits qui sont doublement maudits. Ainsi Philippe Egalité. Duc d’Orléans, partisan de la Révolution, il est élu à la Convention où il siège à l’extrême gauche. Il vote la mort de Louis XVI, son cousin, mais cela ne l’empêche pas de rester suspect aux yeux des Jacobins. Arrêté, il est condamné par le Tribunal révolutionnaire et guillotiné, quelques mois après le roi. Maudit par les royalistes comme par les révolutionnaires, Philippe Egalité a perdu sur tous les tableaux.
D’autres sont maudits et vaincus parce qu’ils ont fait le mauvais choix au mauvais moment, si bien que cette malédiction emporte toute leur vie, quels que soient leurs mérites antérieurs. Il est ainsi difficile, de nos jours, d’expliquer que Philippe Pétain a été un grand chef de guerre en 14-18 sans paraître vouloir absoudre le maréchal de 40-45, ce qui, historiquement parlant, est pourtant absurde. Citons encore l’exemple de Raoul Salan, partout qualifié de général putschiste et de chef de l’OAS, ce qu’il fut en effet, mais ne saurait occulter qu’il fut l’officier le plus décoré de France, ayant exercé les plus hauts commandements à la Libération, en Indochine, puis en Algérie.
Certains, honorés ici comme des héros, sont là maudits comme des criminels. Simon de Monfort, qui s’était distingué en Terre Sainte lors de la quatrième croisade, a mauvaise presse entre Toulouse et Béziers, aujourd’hui encore, pour avoir dirigé la croisade contre les Albigeois. Le général Turreau, dont le nom est gravé sur l’Arc de Triomphe au titre de ses campagnes sous la Révolution et le Consulat, est avec raison honni en Vendée pour avoir conduit les « colonnes infernales » qui ont ravagé la région en 1794.
Il est des vaincus dont la malédiction s’accroît a posteriori, par contagion idéologique. Ainsi le général Lee, chef des armées confédérées pendant la guerre de Sécession, à qui son homologue et adversaire, le général Grant, chef des armées de l’Union, rendit hommage, en 1865, lorsqu’il effectua sa reddition. Cet hommage du Nord vainqueur au Sud vaincu est refusé au général Lee, un siècle et demi plus tard, puisque ses statues sont déboulonnées aux Etats-Unis.
Il est des vaincus dont la malédiction s’accroît a posteriori, par contagion idéologique. Ainsi le général Lee, chef des armées confédérées pendant la guerre de Sécession, à qui son homologue et adversaire, le général Grant, chef des armées de l’Union, rendit hommage, en 1865, lorsqu’il effectua sa reddition. Cet hommage du Nord vainqueur au Sud vaincu est refusé au général Lee, un siècle et demi plus tard, puisque ses statues sont déboulonnées aux Etats-Unis.
En sens inverse, certains personnages, autrefois maudits, ne déchaînent plus les passions. Qui se souvient de la haine entourant Napoléon III chez les républicains du XIXe siècle ? La Russie, en 2018, commémore l’assassinat du tsar Nicolas II. Ses erreurs politiques, avérées, ne méritaient pas la mort, et sûrement pas celle de sa famille, massacrée dans des conditions ignobles. Un jour peut-être, les Français reconnaîtront que Louis XVI, quelles qu’aient été ses fautes, ne méritait pas plus le sort que la Convention lui a fait subir. Le malheureux, dans tous les cas, a été vaincu. Pourquoi faudrait-il en plus qu’il soit éternellement maudit ?
Jean Sévillia
1) Les grands vaincus de l’histoire, de Jean-Christophe Buisson et Emmanuel Hecht, Perrin.
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