Le déclin ? Non, la décadence… et ça, il est plus difficile d’en sortir : quand Valéry Giscard d’Estaing met le doigt là où la France a mal
Maxime Tandonnet est historien, et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy. Il est l'auteur de "Histoire des présidents de la République", Perrin, 2013, et alimente régulièrement son blog personnel. Anthony Escurat est doctorant en science politique à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. Yves Roucaute est philosophe. Agrégé de philosophie et de sciences politiques, il enseigne à la faculté de droit de l’université de Paris-X.
Dans un entretien accordé par Valéry Giscard d'Estaing, à la question de savoir si la France est en décadence, l'ancien Chef d'Etat répond "sans aucun doute" et ajoute que "le problème de la décadence est qu'elle ne s'arrête jamais". Un processus commencé par les bouleversements des structures de mai 1968.
Atlantico : Comment ce processus de "décadence" tel qu'exprimé par l'ancien Chef de l'Etat se manifeste-t-il selon vous ?
Maxime Tandonnet :
Cette question renvoie à la célèbre citation de Valéry: "Nous autres civilisations savons que nous sommes mortelles". Il y a deux manières de voir les choses me semble-t-il. Sur le très long terme, la "décadence" est une réalité historique. Au XVIIème siècle, la France était la première puissance européenne sinon mondiale, militaire, économique, démogaphique. La langue française était la langue internationale. Les souvenirs de Richelieu puis de Louis XIV renvoient à la domination française sur le continent.
La puissance Française a connu ensuite des résurections éphémères, l'empire napoléonien, l'empire colonial construit par la IIIème République. Le contexte actuel n'a plus rien à voir et c'est inévitable: le monde a profondément changé. Il est inutile de se lamenter là-dessus et d'éprouver de la nostalgie. La révolution industrielle, les deux guerres mondiales ont banalisé la puissance française qui n'est plus en position de dominer le monde. La population française représente moins d'un centième de la population mondiale. Il y a là une logique de l'histoire mondiale sur laquelle il est inconcevable d'espérer revenir. Notre pays pourrait avoir l'ambition d'être un phare et un modèle pour les autres nations s'il était capable de donner l'exemple d'une gestion saine de l'économie, de la prospérité, de la stabilité, de la sécurité, de la justice. Il en est bien loin aujourd'hui. En effet le mot "décadence" veut aussi dire tout autre chose: à court terme, affaissement de l'autorité de l'Etat, mise en cause des valeurs et des repères sociaux, désordre, violence, incivisme, fragmentation de la société, incapacité de se gouverner et d'exprimer une ambition collective. En ce deuxième sens là, la décadence est réversible.
Anthony Escurat :
La puissance Française a connu ensuite des résurections éphémères, l'empire napoléonien, l'empire colonial construit par la IIIème République. Le contexte actuel n'a plus rien à voir et c'est inévitable: le monde a profondément changé. Il est inutile de se lamenter là-dessus et d'éprouver de la nostalgie. La révolution industrielle, les deux guerres mondiales ont banalisé la puissance française qui n'est plus en position de dominer le monde. La population française représente moins d'un centième de la population mondiale. Il y a là une logique de l'histoire mondiale sur laquelle il est inconcevable d'espérer revenir. Notre pays pourrait avoir l'ambition d'être un phare et un modèle pour les autres nations s'il était capable de donner l'exemple d'une gestion saine de l'économie, de la prospérité, de la stabilité, de la sécurité, de la justice. Il en est bien loin aujourd'hui. En effet le mot "décadence" veut aussi dire tout autre chose: à court terme, affaissement de l'autorité de l'Etat, mise en cause des valeurs et des repères sociaux, désordre, violence, incivisme, fragmentation de la société, incapacité de se gouverner et d'exprimer une ambition collective. En ce deuxième sens là, la décadence est réversible.
Anthony Escurat :
La bataille sémantique entre "décadence" et "déclin" n’est pas évidente et confine, in fine, à renvoyer dos à dos avocats d’un hypothétique sursaut contre partisans d’un pessimisme quasi suicidaire.
Au-delà du débat terminologique, quel regard porter sur la France d’aujourd’hui ? Chiffres à l’appui, la "déclinophilie ambiante" prend une ampleur vertigineuse.
Il convient tout d’abord de s’attarder sur le front économique et social, creuset de la dépression française actuelle. Or, force est de constater que le bateau France prend l’eau de toutes parts. Malgré les incantations à la petite semaine de François Hollande, la croissance hexagonale demeure engluée dans une atonie préoccupante, à la remorque de la moyenne de la zone OCDE. Ce trou d’air économique est d’autant plus inquiétant qu’il s’inscrit dans un contexte favorable de reprise chez la majorité de nos partenaires occidentaux et de quantitative easing de la BCE.
Du côté de la dette, pas de quoi pavoiser non plus. En dépassant les 2 100 milliards d’euros au deuxième trimestre 2015, elle se rapproche dangereusement des 100% du PIB. Un record depuis quarante ans.
Parmi les autres indicateurs alarmants figurent bien entendu au premier rang le taux de chômage, épée de Damoclès au-dessus de tous gouvernements. Avec 10,2% au troisième trimestre 2015, il est l’un des plus élevés de la zone OCDE.
Au-delà de ces indicateurs économiques, la décadence française – pour reprendre le terme employé par Valéry Giscard d’Estaing – apparaît protéiforme. Le premier stigmate est assurément le manque de réforme. Comme l’expliquait avec justesse l’économiste Robin Rivaton à la suite du premier tour des élections régionales, "la principale cause du succès croissant du Front National c'est le vide. L'absence de résultats à droite comme à gauche, l'absence de projets à droite comme à gauche, l'absence de renouvellement à droite comme à gauche". Ce diagnostic est tout à fait transposable au sentiment de déclin qui anime tant de Français.
En effet, quand le gouvernement prétend tout faire pour l’emploi sans pour autant toucher d’un iota au droit du travail, il alimente le déclinisme. Quand les partenaires sociaux rechignent à réformer l’UNEDIC ou les régimes de retraite, ils alimentent le déclinisme. Quand Manuel Valls entend réaffirmer l’autorité de la République tout en gardant Christiane Taubira dans son gouvernement, il alimente le déclinisme et ce sentiment que tout change pour que rien ne change. Que la communication est bien plus importante que les actes.
En regardant ailleurs en Europe, la France fait preuve d’un immobilisme dont on peut légitimement rougir. De la "big society" portée par David Cameron en passant par les lois Hartz outre-Rhin ou le "job Act" et la réforme institutionnelle de Matteo Renzi, nos voisins européens ont tous, ces dix dernières années, mis en œuvre d’importantes réformes structurelles. La France, quant à elle, reste à la traîne. Immobile. Pétrifiée.
Adepte de la procrastination, la classe politique hexagonale doit – à la manière de Winston Churchill dans un contexte certes bien différent – dire aux Français la vérité sur l’état de la France, la marge de manœuvre dont elle dispose pour se réformer et les sacrifices auxquels nous allons devoir tous consentir. À force de repousser sans cesse les réformes structurelles, nous courons un grand danger.
Yves Roucaute :
Au-delà du débat terminologique, quel regard porter sur la France d’aujourd’hui ? Chiffres à l’appui, la "déclinophilie ambiante" prend une ampleur vertigineuse.
Il convient tout d’abord de s’attarder sur le front économique et social, creuset de la dépression française actuelle. Or, force est de constater que le bateau France prend l’eau de toutes parts. Malgré les incantations à la petite semaine de François Hollande, la croissance hexagonale demeure engluée dans une atonie préoccupante, à la remorque de la moyenne de la zone OCDE. Ce trou d’air économique est d’autant plus inquiétant qu’il s’inscrit dans un contexte favorable de reprise chez la majorité de nos partenaires occidentaux et de quantitative easing de la BCE.
Du côté de la dette, pas de quoi pavoiser non plus. En dépassant les 2 100 milliards d’euros au deuxième trimestre 2015, elle se rapproche dangereusement des 100% du PIB. Un record depuis quarante ans.
Parmi les autres indicateurs alarmants figurent bien entendu au premier rang le taux de chômage, épée de Damoclès au-dessus de tous gouvernements. Avec 10,2% au troisième trimestre 2015, il est l’un des plus élevés de la zone OCDE.
Au-delà de ces indicateurs économiques, la décadence française – pour reprendre le terme employé par Valéry Giscard d’Estaing – apparaît protéiforme. Le premier stigmate est assurément le manque de réforme. Comme l’expliquait avec justesse l’économiste Robin Rivaton à la suite du premier tour des élections régionales, "la principale cause du succès croissant du Front National c'est le vide. L'absence de résultats à droite comme à gauche, l'absence de projets à droite comme à gauche, l'absence de renouvellement à droite comme à gauche". Ce diagnostic est tout à fait transposable au sentiment de déclin qui anime tant de Français.
En effet, quand le gouvernement prétend tout faire pour l’emploi sans pour autant toucher d’un iota au droit du travail, il alimente le déclinisme. Quand les partenaires sociaux rechignent à réformer l’UNEDIC ou les régimes de retraite, ils alimentent le déclinisme. Quand Manuel Valls entend réaffirmer l’autorité de la République tout en gardant Christiane Taubira dans son gouvernement, il alimente le déclinisme et ce sentiment que tout change pour que rien ne change. Que la communication est bien plus importante que les actes.
En regardant ailleurs en Europe, la France fait preuve d’un immobilisme dont on peut légitimement rougir. De la "big society" portée par David Cameron en passant par les lois Hartz outre-Rhin ou le "job Act" et la réforme institutionnelle de Matteo Renzi, nos voisins européens ont tous, ces dix dernières années, mis en œuvre d’importantes réformes structurelles. La France, quant à elle, reste à la traîne. Immobile. Pétrifiée.
Adepte de la procrastination, la classe politique hexagonale doit – à la manière de Winston Churchill dans un contexte certes bien différent – dire aux Français la vérité sur l’état de la France, la marge de manœuvre dont elle dispose pour se réformer et les sacrifices auxquels nous allons devoir tous consentir. À force de repousser sans cesse les réformes structurelles, nous courons un grand danger.
Yves Roucaute :
Votre question m’amuse, car ce point de vue de la décadence française, largement partagé parmi les élites politiques, est la raison pour laquelle j’ai un jour décidé d’arrêter mes travaux pour écrire Eloge du mode de vie à la française (Contemporary bookstore).
Précisément, avant même de tenter de percer ce que révèle ce discours sur l’état de notre pays, sur son évolution, et sur son avenir, notons que ces propos sur la décadence française, du latin "cadere" qui signifie "tomber", ne sont pas nouveaux pour certaines élites politiques depuis la disparition de Georges Pompidou, et pour certains intellectuels sophistes qui font le bonheur des médias en pleurant sur le malheur français avec des pensées aussi courtes que leurs CV scientifiques et universitaires. "La France est foutue", "la France est perdue", on connaît la chanson.
Du côté de certains professionnels politiques, ils ressemblent en effet à Valéry Giscard d’Estaing qui n’a "aucun doute" sur la "décadence" française. En a-t-il eu, un jour ? Il tient depuis longtemps pour acquis cette chute de la France dans le concert des nations. En 1975, il n’avait ainsi déjà aucun doute sur le fait que la France était une "puissance moyenne", à vocation plus ou moins mondiale, modérait-il parfois. Dernièrement, il avait inventé l’idée de "grande puissance moyenne".
Mais s’agit-il d’une "pensée" ? Le terme est-il bien adapté s’agissant de la production de notions vagues comme "grande puissance moyenne" ? Je ne vois ni analyse concrète, ni pensée conceptuelle, ni, encore moins, de dessein stratégique. Il y a même quelque chose d’un peu ridicule à vouloir déclarer "moyenne", une puissance qui, sur 193 Etats dans le monde, est la troisième puissance nucléaire du globe, un des cinq membres du conseil de sécurité de l’ONU, premier contributeur militaire de l’Union européenne, cinquième ou sixième puissance économique mondiale, deuxième zone économique exclusive du globe, avec 12 millions de Km2, seule puissance à être présente sur tous les océans, première puissance culturelle mondiale en matière de Théâtres, de monuments, de musées, troisième pays producteurs de films et de musiques… sans même évoquer sa puissance symbolique dont les derniers événements dramatiques ont montré la force. Certes, à l’ENA, d’où sont issues les élites politiques depuis trente ans, les mathématiques ne sont guère enseignées, ni l’histoire, mais au point de ne pas savoir calculer une "moyenne" sur 193 Etats, j’avoue en être béat, au point de me demander si supprimer l’ENA ne serait pas une des premières mesures salutaires pour sortir le pays non de sa décadence mais de son passager déclin.
Certes, nombre d’ "intellectuels" sacrés "penseurs" par les médias, emboîtent le pas. Les voilà à se désespérer de l’impuissance française quand ils devraient plutôt s’inquiéter de l’impuissance de leur pensée. Remarquez, pourquoi s’encombrer de faire des thèses, de passer des agrégations, de tenter une reconnaissance à la façon des élites intellectuelles des pays nordiques, germaniques, anglo-saxons, japonais ou chinois, en passant devant les jurys de pairs, pourquoi aller sur le terrain, produire des concepts et des analyses des situations concrètes, quand on a la chance de vivre dans un pays comme la France où le système médiatico-politique, dans le mépris de la vraie pensée choisit lui-même ses "penseurs", s’enivrant devant les provocations de l’ignorance.
A vrai dire, je ne vois guère de décadence, si j’en juge par ce qui a pu se produire lors de certaines périodes pur certains empires ou certains royaumes. Depuis la moitié du XIXème siècle, la première puissance mondiale militaire et économique est les Etats-Unis. Et la France, avec le Royaume Uni tient sa place, économique, militaire, culturelle.
A l’inverse, je vois bien un déclin momentané qui n’a rien d’inexorable. Il se lit par des critères objectifs, en termes industriels, financiers, commerciaux, par la faible croissance, la dette publique, le PIB, le chômage. Par le nombre de brevets, dont je rappelle qu’ils sont une clef pour l’emploi et la compétitivité, le manque d’attractivité des universités, le départ des chercheurs, l’inadaptabilité du droit à la concurrence internationale et à la libération des énergies.
Mais, plus encore, le déclin s’exprime dans la vie quotidienne.
En particulier par l’affaiblissement moral, par corruption générale des mœurs. Le délitement de la société française se lit dans les incivilités, auxquelles les élites n’ont pas prêté attention. Il leur paraissait anecdotique que des femmes soient sifflées et insultées dans la rue, que des jeunes ne se lèvent pas pour laisser s’asseoir des gens âgés dans les transports en commun, que les drapeaux français soient brûlés, que La Marseillaise soit huée, que des enfants soient rackettés, que des drogues soient vendues à la sortie des lycées, que des revendications multiples viennent gangréner le mode de vie généreux français. Il leur paraissait anodin que les particularisme cherchent leur satisfaction à travers l’Etat, et que cet Etat cède quasi systématiquement devant les manifestations de ces particularismes au lieu d’être au service du bien public. Il leur paraissait inessentiel qu’au nom d’une idéologie de la compétence administrative, l’Etat lui-même devient la propriété d’une caste ignorant tout de la stratégie, règne sur l’exécutif, le législatif et le judiciaire, s’emparant même d’une grande partie du monde économique.
Mais précisément, n’est-ce pas cela que veut la France profonde : la défaite des élites politiques qui se satisfont de la défaite française ? Une demande si forte que nombre de nos concitoyens sont prêts à soutenir des élites plus incompétentes encore, issues du ressentiment, du repli isolationniste et protectionniste, du rejet d’un système qui conduit la France à la faillite.
Car, la France le sait : le déclin n’est pas fatal. La France l’a déjà connu à certaines périodes de son histoire. Depuis Clovis, combien de fois ne l’a-t-on pas cru morte ? Sans même remonter aux différentes crises qui l’ont sérieusement amoindrie, sans même évoquer les seules périodes républicaines, depuis la Terreur jusqu’à aujourd’hui, c’est bien ce déclin moral qui fut cause de la chute de la IIIème République qui vota les pleins pouvoirs à Pétain. Ce déclin fut la cause de la perte de la IVème République. A chaque fois, la France s’est relevée en combattant les fatalistes et les apocalyptiques de la décadence.
Il fallut pour cela des stratèges qui avaient une vision de l’avenir et avaient décidé de mener une politique courageuse. Mon désaccord avec Valéry Giscard d’Estaing et tous les idéologues de la décadence porte sur le fond : l’esprit de la nation française n’a pas achevé le rôle qui lui est dévolu par l’histoire. Au contraire : cet esprit porte haut dans le monde, contre la vision ethnique des Cités, son projet de nation civique comme modèle de vie pacifiée pour toutes les nations, avec ses valeurs universelles qui disent droits et devoirs de l’humain, droit et devoirs des minorités, droits et devoirs des individus. Qui disent qu’il faut rendre à Dieu ce qui appartient à dieu et à César ce qui lui appartient, clef d’une laïcité respectueuse de la liberté de chacun dans l’égale dignité. Cet esprit présente en modèle son mode de vie sucré, dont le sens caché est la joie de vivre ici et maintenant, avec son partage du pain et du vin, ses arts de la table, sa galanterie, son culte de la littérature, des artistes, des fêtes où se mêlent fraternellement les citoyens. Un modèle où l’humanité se découvre peu à peu, par ses french doctors comme par son croissant, comme humanité. Il reste à former une élite politique qui soit à la hauteur de cette nation.
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Précisément, avant même de tenter de percer ce que révèle ce discours sur l’état de notre pays, sur son évolution, et sur son avenir, notons que ces propos sur la décadence française, du latin "cadere" qui signifie "tomber", ne sont pas nouveaux pour certaines élites politiques depuis la disparition de Georges Pompidou, et pour certains intellectuels sophistes qui font le bonheur des médias en pleurant sur le malheur français avec des pensées aussi courtes que leurs CV scientifiques et universitaires. "La France est foutue", "la France est perdue", on connaît la chanson.
Du côté de certains professionnels politiques, ils ressemblent en effet à Valéry Giscard d’Estaing qui n’a "aucun doute" sur la "décadence" française. En a-t-il eu, un jour ? Il tient depuis longtemps pour acquis cette chute de la France dans le concert des nations. En 1975, il n’avait ainsi déjà aucun doute sur le fait que la France était une "puissance moyenne", à vocation plus ou moins mondiale, modérait-il parfois. Dernièrement, il avait inventé l’idée de "grande puissance moyenne".
Mais s’agit-il d’une "pensée" ? Le terme est-il bien adapté s’agissant de la production de notions vagues comme "grande puissance moyenne" ? Je ne vois ni analyse concrète, ni pensée conceptuelle, ni, encore moins, de dessein stratégique. Il y a même quelque chose d’un peu ridicule à vouloir déclarer "moyenne", une puissance qui, sur 193 Etats dans le monde, est la troisième puissance nucléaire du globe, un des cinq membres du conseil de sécurité de l’ONU, premier contributeur militaire de l’Union européenne, cinquième ou sixième puissance économique mondiale, deuxième zone économique exclusive du globe, avec 12 millions de Km2, seule puissance à être présente sur tous les océans, première puissance culturelle mondiale en matière de Théâtres, de monuments, de musées, troisième pays producteurs de films et de musiques… sans même évoquer sa puissance symbolique dont les derniers événements dramatiques ont montré la force. Certes, à l’ENA, d’où sont issues les élites politiques depuis trente ans, les mathématiques ne sont guère enseignées, ni l’histoire, mais au point de ne pas savoir calculer une "moyenne" sur 193 Etats, j’avoue en être béat, au point de me demander si supprimer l’ENA ne serait pas une des premières mesures salutaires pour sortir le pays non de sa décadence mais de son passager déclin.
Certes, nombre d’ "intellectuels" sacrés "penseurs" par les médias, emboîtent le pas. Les voilà à se désespérer de l’impuissance française quand ils devraient plutôt s’inquiéter de l’impuissance de leur pensée. Remarquez, pourquoi s’encombrer de faire des thèses, de passer des agrégations, de tenter une reconnaissance à la façon des élites intellectuelles des pays nordiques, germaniques, anglo-saxons, japonais ou chinois, en passant devant les jurys de pairs, pourquoi aller sur le terrain, produire des concepts et des analyses des situations concrètes, quand on a la chance de vivre dans un pays comme la France où le système médiatico-politique, dans le mépris de la vraie pensée choisit lui-même ses "penseurs", s’enivrant devant les provocations de l’ignorance.
A vrai dire, je ne vois guère de décadence, si j’en juge par ce qui a pu se produire lors de certaines périodes pur certains empires ou certains royaumes. Depuis la moitié du XIXème siècle, la première puissance mondiale militaire et économique est les Etats-Unis. Et la France, avec le Royaume Uni tient sa place, économique, militaire, culturelle.
A l’inverse, je vois bien un déclin momentané qui n’a rien d’inexorable. Il se lit par des critères objectifs, en termes industriels, financiers, commerciaux, par la faible croissance, la dette publique, le PIB, le chômage. Par le nombre de brevets, dont je rappelle qu’ils sont une clef pour l’emploi et la compétitivité, le manque d’attractivité des universités, le départ des chercheurs, l’inadaptabilité du droit à la concurrence internationale et à la libération des énergies.
Mais, plus encore, le déclin s’exprime dans la vie quotidienne.
En particulier par l’affaiblissement moral, par corruption générale des mœurs. Le délitement de la société française se lit dans les incivilités, auxquelles les élites n’ont pas prêté attention. Il leur paraissait anecdotique que des femmes soient sifflées et insultées dans la rue, que des jeunes ne se lèvent pas pour laisser s’asseoir des gens âgés dans les transports en commun, que les drapeaux français soient brûlés, que La Marseillaise soit huée, que des enfants soient rackettés, que des drogues soient vendues à la sortie des lycées, que des revendications multiples viennent gangréner le mode de vie généreux français. Il leur paraissait anodin que les particularisme cherchent leur satisfaction à travers l’Etat, et que cet Etat cède quasi systématiquement devant les manifestations de ces particularismes au lieu d’être au service du bien public. Il leur paraissait inessentiel qu’au nom d’une idéologie de la compétence administrative, l’Etat lui-même devient la propriété d’une caste ignorant tout de la stratégie, règne sur l’exécutif, le législatif et le judiciaire, s’emparant même d’une grande partie du monde économique.
Mais précisément, n’est-ce pas cela que veut la France profonde : la défaite des élites politiques qui se satisfont de la défaite française ? Une demande si forte que nombre de nos concitoyens sont prêts à soutenir des élites plus incompétentes encore, issues du ressentiment, du repli isolationniste et protectionniste, du rejet d’un système qui conduit la France à la faillite.
Car, la France le sait : le déclin n’est pas fatal. La France l’a déjà connu à certaines périodes de son histoire. Depuis Clovis, combien de fois ne l’a-t-on pas cru morte ? Sans même remonter aux différentes crises qui l’ont sérieusement amoindrie, sans même évoquer les seules périodes républicaines, depuis la Terreur jusqu’à aujourd’hui, c’est bien ce déclin moral qui fut cause de la chute de la IIIème République qui vota les pleins pouvoirs à Pétain. Ce déclin fut la cause de la perte de la IVème République. A chaque fois, la France s’est relevée en combattant les fatalistes et les apocalyptiques de la décadence.
Il fallut pour cela des stratèges qui avaient une vision de l’avenir et avaient décidé de mener une politique courageuse. Mon désaccord avec Valéry Giscard d’Estaing et tous les idéologues de la décadence porte sur le fond : l’esprit de la nation française n’a pas achevé le rôle qui lui est dévolu par l’histoire. Au contraire : cet esprit porte haut dans le monde, contre la vision ethnique des Cités, son projet de nation civique comme modèle de vie pacifiée pour toutes les nations, avec ses valeurs universelles qui disent droits et devoirs de l’humain, droit et devoirs des minorités, droits et devoirs des individus. Qui disent qu’il faut rendre à Dieu ce qui appartient à dieu et à César ce qui lui appartient, clef d’une laïcité respectueuse de la liberté de chacun dans l’égale dignité. Cet esprit présente en modèle son mode de vie sucré, dont le sens caché est la joie de vivre ici et maintenant, avec son partage du pain et du vin, ses arts de la table, sa galanterie, son culte de la littérature, des artistes, des fêtes où se mêlent fraternellement les citoyens. Un modèle où l’humanité se découvre peu à peu, par ses french doctors comme par son croissant, comme humanité. Il reste à former une élite politique qui soit à la hauteur de cette nation.
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