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sábado, 15 de agosto de 2015

A l'Est de l'Europe, des dizaines de milliers de soldats se massent....


Mouvement de troupes aux portes de l’Europe : l’hypothèse d’un conflit OTAN vs Russie est-elle vraiment crédible ?



Entretien avec Olivier Schmitt et Mathieu Boulègue

A l'Est de l'Europe, des dizaines de milliers de soldats se massent. Otan et Russie semblent devoir se menacer chaque jour un peu plus, tandis que certains analystes voient déjà là le début d'une gigantesque guerre. Pourtant, il reste peu probable que la situation ne dégénère jusqu'à ce point.

Atlantico : Une note du European Leadership Network, un think tank base à Londres, s’inquiète des exercices militaires menés par l’Otan et par la Russie ces derniers mois. Leur étude conclut que les deux camps se préparent au pire, à savoir un conflit militaire dans tout l’Est européen, depuis l’Arctique jusqu’à la mer Noire. Que pensez-vous de cette conclusion ? Alarmiste ? Réaliste ? Feriez-vous-la même ?

Olivier Schmitt : Pour cette note, les deux camps se préparent à une montée aux extrêmes. C’est un peu l’argument de la course aux armements, fondé sur ce que l’on appelle le dilemme de sécurité : si l’on ne fait rien et que l’autre fait quelque chose, forcément, son insécurité est donc accrue, donc on est obligé de répondre, ce qui entraine une nouvelle surenchère de l’autre… et ainsi de suite.

Cela me parait alarmiste, à partir du moment où l’on regarde comment les exercices sont conçus, des deux côtés. Pour moi, il faut repartir de ce qu’est la stratégie russe actuelle, qui consiste à essayer de brouiller pour l’Otan la distinction entre sécurité collective et défense collective. C'est-à-dire utiliser des moyens de pression, y compris éventuellement la force militaire, mais qui restent en dessous du niveau de la guerre. On ne rentre ainsi pas dans le cadre de la défense collective telle que prévue par l’article V de l'Alliance. Le but est de créer la confusion chez les dirigeants de l’Otan pour qu’ils hésitent sur la réponse à apporter : puisque nous ne sommes pas dans la défense collective, par quels moyens assurer la sécurité collective ?

Les exercices russes sont répartis sur l’ensemble des frontières, depuis la Baltique, jusqu’à la mer Noire. Cela multiplie les points d’angoisse : est-ce qu’ils se préparent à une action déstabilisatrice quelconque sur le modèle de l’Ukraine, et où ? Néanmoins, on peut noter que les scénarios des exercices consistent à recréer une zone de sécurité autour de la frontière russe, et donc à repousser la frontière de l’Otan vers l’ouest. Et là où pour moi, ce n’est pas nécessairement déstabilisant, c’est parce que s’il devait y avoir un conflit conventionnel majeur –ce qu’aucun des deux camps ne souhaite en ce moment-, il y aurait un engagement conventionnel limité assez rapide avec l’utilisation d’armes nucléaires tactiques, comme le prévoit la doctrine militaire russe. Et cela ne correspond pas aux scénarios de ces exercices. Il faut donc comprendre ces exercices russes comme faisant partie d’une manœuvre plus large de "test" de la solidarité et des capacités de réaction de l’Otan, mais qui ne présagent pas de la manière dont un hypothétique conflit serait conduit.

Mathieu Boulègue : Cela me parait très alarmiste. Effectivement, le contexte sécuritaire est extrêmement tendu. Mais je pense que le constat d'une guerre probable entre Etats-Unis et Russie est clairement surfait. Mais c'est peut-être aussi nécessaire, venant de certains pays de l'Alliance comme la Pologne et les Etats baltes, qui ont besoin d'être rassurés. Les auteurs de ce rapport sont polonais et baltes. Ils ont besoin de se sentir rassurés et aimés par l'Otan. Le nouveau président polonais a encore rappelé ces jours-ci qu'il voulait que la Pologne ne soit pas un allié de seconde zone mais soit pleinement intégrée à l'Otan. L'idée, c'est de dire "attention, les Russes sont à nos portes, dépéchez-vous de nous aider et de nous fournir des armes".

C'est un jeu de dupes que la Russie et les Etats-Unis entretiennent. Il y a des lignes rouges qui ne seront jamais franchies. Sans être définies précisémment, on sait qu'il n'y a jamais eu de rupture totale du dialogue entre Moscou et Washington. John Kerry et Sergueï Lavrov se parlent régulièrement au téléphone. Vladimir Poutine et Barack Obama se rencontrent. On n'est pas du tout dans un climat de Guerre Froide, au bord du seuil nucléaire. C'est un climat de psychose totale. Lorsque Vladimir Poutine parle de menace nucléaire, c'est sûr que c'est tendu. Mais on n'est pas dans la surenchère permanente que l'on a pu connaître en d'autres temps. Tout cela reste dans les limite de l'acceptable et du diplomatiquement correct.

Beaucoup d'articles sont sortis aux Etats-Unis, estimant que nous vivions dans une période particulièrement critique, et que le moindre incident pourrait déclencher une explosion. Certains chercheurs font la comparaison avec août 1914. Quelque chose qui serait normalement passé inaperçu, pourrait changer le destin du monde. Du côté russe, cette logique est clairement présente. Mais du côté américain, elle s'installe aussi. Et il commence à y avoir une prise de conscience qui fait que l'on devrait commencer à faire en sorte d'atténuer les tensions.
Les auteurs prennent deux études de cas. Allied Shield, un exercice de l’Otan qui a massé 15 000 soldats en juin dernier, et une manœuvre russe en février qui a mobilisé 80 000 militaires. Dans les deux cas, même si les porte-parole parlent d’ennemis hypothétiques, les objectifs fixés correspondent à une réponse aux plans du camp d’en face. A quoi servent très concrètement ces exercices ? Sont-ils exceptionnels ?

Olivier Schmitt : Il y a forcément un objectif d’entrainement, en particulier pour faire de la formation à la manœuvre inter-armées à grande échelle. Au regard des cinq, six dernières années, les Russes n’étaient pas très bons dans ce domaine. Il y a une volonté de remonter en puissance et en capacité militaire. Les Russes bénéficient ainsi d’un levier diplomatique tout en entraînant leurs forces.

L’Otan avait depuis la fin de la Guerre Froide abandonné les exercices à grande échelle. C’est une compétence que l’Otan était également en train de perdre, et qui est réactivée en réaction au comportement russe. C’est aussi une réponse diplomatique qui consiste à dire : nous ne sommes pas dupes de votre manœuvre et nous le montrons en nous entrainant nous aussi.

C’est une sorte de dissuasion de l’avant. L’Otan utilise les exercices comment un moyen de dissuader les Russes en montrant qu’elle n’est pas dupe et qu’il ne faudrait pas qu’ils s’aventurent au delà de la frontière.

Mathieu Boulègue : Ces exercices ne servent qu'à faire une démonstration de puissance, surtout du côté russe. Les Etats-Unis n'ont pas grand chose à prouver militairement. Les Russes veulent montrer qu'ils sont capables de défendre le territoire en faisant des manoeuvres qui sont très proches de pays membres de l'Otan. C'est uniquement pour montrer que l'armée russe est parfaitement opérationnelle. C'est du même registre que les jeux militaires qu'organise la Russie, avec notamment des biathlon de chars, avec quatorze pays invités.

Tout cela montre que l'industrie de l'armement russe est toujours au top, que les pays partenaires comme la Chine et l'Inde sont toujours présents aux côtés des Russes qui ne sont pas du tout isolés... C'est de la démonstration de puissance, même si elle est effectivement démesurée. De la même manière, les derniers exercices de l'Otan ont réuni énormément de soldats et un nombre de pays participants complètement dément.

Il ne faut pas y voir une préparation à quoi que ce soit. Ces exercices sont d'ailleurs assez peu coordonnés, les uns par rapport aux autres : un coup c'est maritime, un coup c'est terrestre. Mais on reste toujours dans le cadre de l'article V du Traité nord-atlantique. Ce que craignent le plus les Etats-Unis, la Pologne et les pays Baltes, ce n'est pas tant une agression de ce type, mais une destabilsiation qui passerait en dessous de cet article qui engage la défense collective : de la propagande massive contre la Pologne qui déstabiliserait le gouvernement ou une attaque cyber contre une centrale nucléaire en Lituanie, par exemple

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