jueves, 12 de diciembre de 2019

Un entretien sur la CGT et le syndicalisme avec Pierre Rigoulot


"L’idéologie de la CGT, c’est celle de la gauche marxiste et anticapitaliste"



Un entretien sur la CGT et le syndicalisme avec Pierre Rigoulot, spécialiste du communisme et rédacteur en chef de la revue Histoire et Liberté.

Cet entretien a été mené en 2017.
Alors que la CGT mène encore partout en France des grèves et des actions de blocage (NDLR : l’article date de 2016), se pose la question de la légitimité et des ressorts idéologiques d’une mouvance syndicale qui a toujours préféré le rapport de force à la négociation. Pour nous éclairer sur les liens étroits entre CGT et communismeContrepoints a interrogé Pierre Rigoulot. Pierre Rigoulot est chercheur en histoire, spécialiste du communisme, directeur de l’Institut d’Histoire sociale et rédacteur en chef d’Histoire et Liberté. Il est l’auteur de plus d’une douzaine d’essais.
Contrepoints : La CGT fait parler d’elle car elle fait partie des syndicats qui soutiennent les actions de blocages, les grèves dans les différents secteurs ferroviaires et qu’elle fait scandale car elle attaque la police dans une de ses campagnes d’affichage. Idéologiquement, le syndicat a-t-il totalement rompu avec la lutte des classes et sa proximité avec le communisme ?
Pierre Rigoulot : À l’évidence, la CGT se positionne toujours comme un syndicat qui inscrit son action dans une société divisée en classes, une société qui trouvera son salut in fine dans le triomphe de la classe ouvrière et l’abolition du capitalisme. Naturellement, la majorité des militants CGT ne formulent pas cela de manière aussi précise. Ils veulent la « justice sociale », c’est-à-dire un monde du travail dessiné par et pour les travailleurs. Mais beaucoup adhèrent à la CGT parce qu’ils jugent qu’elle est l’organisation la plus ferme, la plus combative, la moins encline à des concessions au monde patronal. Que cela reprenne au fond la pensée de Marx, je crois qu’ils s’en moquent. Leurs dirigeants en revanche, proches des organisations politiques de la gauche radicale, voient, au contraire une certaine cohérence et une preuve de solidité théorique dans ces conceptions marxistes. Le résultat est que même si l’on n’est plus au temps du syndicat conçu comme courroie de transmission du parti, il y a une proximité idéologique indéniable de la CGT, et surtout de sa direction, avec les diverses facettes de l’idéologie marxisante de la gauche radicale.
Pourquoi ne voit-on pas d’évolution réformiste comparable à celles de nos voisins dans le milieu syndical français ?
Il y a aussi une évolution réformiste mais plus lente, plus réticente, plus discutée, qui coexiste avec le maintien de groupes franchement révolutionnaires qu’on ne voit pas à l’œuvre en Allemagne. La puissance du mouvement communiste en France, bien plus grande qu’en Allemagne du fait de deux histoires bien différentes, explique cette faiblesse relative du mouvement syndical réformiste : en France, le prestige gagné par l’engagement des communistes dans la Résistance, et en Allemagne, le faible nombre de communistes après leur répression par le nazisme, puis après-guerre le repoussoir de la RDA ont créé des rapports de force très différents entre réformistes et radicaux. Cela dit,  cette opposition s’amenuise puisque la CFDT réformiste est en passe de dépasser la CGT en termes de votes des salariés. Cependant, l’influence communiste a été si grande, ces dernières décennies, que même le Parti socialiste n’a pas voulu, n’a pas osé, prendre clairement ses distances avec ceux qui critiquent l’économie de marché. Il n’y a pas eu de Bad Godesberg à la française ! Être de gauche c’est donc, non seulement dans ces groupes de la gauche radicale (où j’inclus le Parti communiste) mais même au sein de certaines tendances du Parti socialiste, être  en conflit avec le Capital, la Finance, les grands obstacles au Bonheur, les mauvais objets mythiques.
L’absence d’évolution syndicale expliquerait-elle la très faible représentativité des syndicats auprès des salariés en France ?
Cette situation est liée, il n’y a aucun doute, à la faible représentativité du mouvement syndical en France. Mais s’agit-il d’une cause ou d’une conséquence ?  Les deux, sans doute. La majorité des travailleurs est favorable à une défense des conditions de travail  qui ne remette pas en cause l’économie de marché. Mais les organisations extrémistes peuvent en effet  avoir une influence non négligeable sur la petite minorité que sont les syndiqués, et les influencer. Le vide est si grand qu’il est même assez compréhensible que les organisations révolutionnaires envoient leurs militants sur ce front social et syndical. Les rangs clairsemés du syndicalisme français leur permettent d’espérer qu’elles les marqueront facilement de leur empreinte.
Les actions les plus radicales de la CGT sont le fait de sections locales à travers le pays : faut-il voir ici un signe de sa perte d’influence face à d’autres syndicats plus radicaux (Sud rail, etc.) ? Ou alors face à la plus réformiste CFDT ?
Avec la fin d’un contrôle étroit de la CGT par le Parti communiste, on a vu surgir non seulement des tendances différentes, mais même une certaine concurrence entre  ces tendances. Telle section, telle fédération cherche à se montrer dynamique et combative. Manière de damer le pion à d’autres courants au sein de la confédération ou au sein d’autres syndicats. D’autres sections ou fédérations cherchent au contraire à montrer qu’elles sont aussi « responsables » que les organisations ouvertement réformistes  comme la CFDT.
Le poids de l’extrême gauche pèse-t-il encore au sein du modèle social français ou assistons-nous au « chant du cygne » d’une certaine manière d’envisager l’action syndicale ?
L’extrême gauche pèse encore, tant sur le plan syndical que politique : elle est capable de bloquer des ports et des raffineries ou de perturber les transports. Mais on est en droit de se demander si Valls et Hollande ne sont pas en train de l’emporter : le verbe était haut et l’on a parlé de grève illimitée et de convergence des luttes. Dans les faits, malgré des gênes évidentes, et sans doute avec de nouvelles négociations à venir sur des points de détail — et beaucoup de respect affiché pour l’ensemble des partenaires sociaux (on sait qu’il ne faut pas humilier les vaincus) — le gouvernement semble en mesure de faire reculer le mouvement actuel et la gauche libérale montre ainsi le bout de son nez face aux fiers-à-bras et aux radicaux. Nous aurons encore des actions syndicales dures à l‘avenir. Mais l’échec de la gauche radicale, qu’on peut raisonnablement envisager en ce mois de juin 2016, permet de penser qu’une étape importante a été franchie par les partisans de rapports plus apaisés au sein des entreprises entre les salariés et la direction.
Et si la CFDT l’emporte aux prochaines élections professionnelles, on pourra alors parler d’une véritable mutation !
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