sábado, 16 de febrero de 2019

Davos : les conséquences de la mondialisation financière n’apparaissent nulle part.

Davos : les analyses à côté de la plaque



Par Henri Lepage.

J’ai suivi de loin les travaux de ce dernier Davos. J’ai trouvé le thème 2019 choisi par les animateurs du forum particulièrement intéressant : Globalization 4.0. En accompagnement de leur programme, ils ont mis en ligne sur leur site une série d’études sectorielles qui ne manquent pas d’intérêt. Mais les comptes-rendus des travaux qui ont été publiés dans les médias montrent qu’en matière de macro-économie les débats sont restés complètement à côté de la plaque.
Il apparaît en effet que les discussions de Davos sur les perspectives économiques 2019 s’appuient principalement sur deux assertions premières avec lesquelles je suis en désaccord total : a) la croissance mondiale reste tirée par les Etats-Unis, b) le rôle directeur du cycle économique américain arrive à sa phase terminale. En réalité :
C’est désormais l’état du grand marché monétaire mondial (dont l’aire géographique et fonctionnelle se confond avec ce qu’on appelle l’Eurodollar) qui dicte les impulsions de la conjoncture mondiale, même pour l’économie américaine.

LE RÔLE DU GRAND MARCHÉ MONDIAL

La mondialisation économique s’est accompagnée d’une mondialisation financière et monétaire qui a donné naissance à un système interbancaire de financement de gros (Global Wholesale Money Market) à caractère intrinsèquement transnational, ancré hors de toute territorialité (Shadow banking). Ce marché (qui est la province d’une vingtaine de gigantesques Global banks) est désormais le principal instrument de financement et de refinancement des besoins en liquidité des banques et institutions financières par delà les frontières nationales.
Comme tout système bancaire, ses chaînes de crédits et d’intermédiation trans-frontières sont collectivement créatrices de monnaie (les principales sources de cette création monétaire se trouvant dans les processus de titrisation des actifs, l’utilisation complexe des dérivés, la pratique de rehypothecation des garanties collatérales, ainsi que la généralisation des pratiques de swap).
Bien qu’invisible (il n’y a pas de statistiques pour l’identifier) le volume de ce marché apatride atteint aujourd’hui une telle dimension que ses impulsions submergent les effets attendus des politiques monétaires nationales, tant traditionnelles (comme les changements de taux) que non traditionnelles (comme les politiques de quantitative easing), même dans le pays dominant que sont les États-Unis. La crise financière de 2008 ans fut la première manifestation visible – mais non comprise – de cette nouvelle situation.
Par habitude, tout le monde, médias et économistes, se tient à l’écoute permanente des banques centrales, décisions et intentions. On continue de noircir des fleuves de papier pour expliquer quelles en seront les conséquences sur la croissance, l’inflation, le chômage, etc.
En réalité, l’influence de l’action des banques centrales sur ces données est désormais de peu de chose par rapport aux impulsions qui proviennent de ce nouvel échelon bancaire global qui englobe, complète mais aussi concurrence et substitue ses services et produits à ceux des marchés monétaires nationaux traditionnels1.
Les journalistes peuvent discourir sans fin sur les hausses ou baisses de taux de la Fed (Hawks versus Doves), l’impact des décisions fiscales de Trump, les conséquences de ses foucades protectionnistes… ce qui désormais détermine prioritairement la température de l’économie américaine, au même titre que celle des autres grands pays industriels et émergents, ne vient plus de Washington mais de la mystérieuse alchimie qui s’opère dans ce nouveau Cloud bancaire.

LA FIN DU CYCLE DES AFFAIRES

La prise en compte de cette mutation conduit à abandonner la référence au schéma classique du cycle des affaires pour la conduite de l’économie ou sa prévision.
Les cycles sont en effet liés aux institutions et instruments de régulation monétaire dominants d’une période donnée. Modifier ces institutions et mécanismes en change les canaux et engrenages, donc tant les caractéristiques que la temporalité. Le nouvel ordre monétaire actuel est le genre même d’événement qui transforme la problématique des fluctuations économiques à l’échelle des espaces désormais intégrés dans l’économie  mondiale, et rend donc obsolète le savoir théorique et empirique dans lequel s’ancre la crédibilité de l’action des banques centrales.
Depuis la crise, il semble que l’activité économique soit désormais, peut-être transitoirement, plutôt régulée par une succession de mini-cycles (reflation/déflation) d’une périodicité apparemment de trois ans, dont la conséquence est de soumettre la reprise de la croissance à une sorte de plafond de verre qui, systématiquement, lui coupe la tête.
Les indicateurs monétaires et financiers les plus crédibles (courbes de taux, futures…) suggèrent qu’à l’été 2018 l’économie américaine a déjà passé son point de retournement conjoncturel selon un scénario qui se déroule d’une manière en tous points identique aux deux précédents épisodes vécus en 2011/2012 et 2014/2015 – la seule différence étant qu’à ces deux dates le basculement s’était alors fait sur la base de performances trimestrielles (PNB, emploi, revenus…) nettement supérieures à celles de 2017/2018 (ce que tout le monde a oublié et dont la Fed, soucieuse de faire croire au succès de sa politique, ne veut surtout pas rappeler le souvenir).

UNE INTERPRÉTATION ERRONÉE DES TAUX D’INTÉRÊT

Les perspectives esquissées pour l’année 2019 résultent d’une interprétation erronée du message véhiculé depuis six mois par le mouvement des taux d’intérêt. Leur glissade, tout à fait spectaculaire et parfaitement contre intuitive par rapport aux schémas d’interprétation traditionnels (au printemps tout le monde anticipait une remontée brutale des taux suite à une déroute des obligations qui, croyait-on, devait être provoquée par une remontée inévitable de l’inflation), est un signe financier indicateur, avec une série d’autres indices convergents, de la sévérité du ralentissement économique global actuellement en train de se préciser.
Elle reflète l’intensité de la course au collatéral (US Treasuries et autres obligations souveraines de premier rang) déclenchée dans l’anticipation d’un ralentissement économique mondial en 2019 dont les eurodollar futures laissent penser qu’il devrait être relativement sévère (plus dans la ligne de ce qui s’est passé en 2012 qu’en 2015/2016), et cela à une échéance assez rapprochée.
Surtout, elle révèle au grand jour l’inanité du discours auquel se cramponnent avec insistance les autorités monétaires américaines : le grand boom économique auquel elles nous demandent de croire n’est en réalité qu’une illusion gonflée au viagra, un produit imaginaire de leur dépendance exclusive à l’égard d’un seul facteur d’appréciation conjoncturelle interprété de façon étroitement dogmatique : le taux de chômage.
C’est aussi la sanction d’échec de leur stratégie de communication dite de forward guidance qui consiste à croire que c’est à force de bourrer le crâne des agents économiques avec des orientations d’avenir bien triées et généreusement optimistes qu’on va les conduire à adopter les comportements nécessaires pour que cet avenir se réalise.
Au total, dans cees débats de Davos je constate une immense lacune : l’analyse des conséquences de la mondialisation financière n’apparaissent nulle part. La financiarisation n’y est approchée que sous le traditionnel angle de la réglementation prudentielle des banques : ce qu’il faudrait leur imposer comme contraintes supplémentaires pour éviter la répétition des crises.
Le pouvoir idéologique des banques centrales est tel que personne n’ose douter de leur vérité, sinon à la marge, une toute petite marge. D’où cette sempiternelle langue de bois consensuelle, sans aspérités, toujours entre deux, qui est une marque caractéristique de Davos.
  1. pour une présentation résumée de cette mutation, voir l’article publié dans le second numéro de la nouvelle revue online « Le journal des libertés », conjointement publiée par l’ALEPS et l’IREF : Henri Lepage,  « La finance de marché, ressort de l’ordre monétaire mondial », JdL, automne 2018. ↩




Lire ici: www.contrepoints.org


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