viernes, 4 de mayo de 2018

Soljenitsyne juge les sociétés en se basant sur les traits de caractère qu’elles favorisent


On recherche une nouvelle hauteur de vue


par Michael Pakaluk

Traduit par Bernadette Cosyn


Cette année marque le quarantième anniversaire du fameux discours d’Alexandre Soljenitsyne à la cérémonie de remise des prix à Harvard : « Un monde coupé en deux ». Cinq mois après qu’il l’ait prononcé, Karol Wojtyla était élu pape. Tous les deux hommes de pays communistes, ils ont donné des avertissements à l’Occident. En quoi le diagnostic de Soljenitsyne était-il différent ? Comment a-t-il résisté au temps ?

Nous étions habitués à des discours de remises de prix de style monologues comiques gauchisants. Mais Soljenitsyne n’était pas venu à Harvard pour raconter des blagues. Il a promis de l’amertume. « La vérité nous échappe » a-t-il commencé, « si nous n’accordons pas une attention complète à sa poursuite. Et même alors qu’elle nous échappe, l’illusion de la connaître persiste, et nous conduit à de nombreux malentendus. En outre, la vérité est rarement agréable ; elle est presque invariablement amère. »

De même, Soljenitsyne rejetait la suffisance sociale. Les horreurs du nazisme et du communisme lui avaient enseigné une connaissance de soi plus approfondie : « il n’y a rien qui aide autant l’éveil de l’omniscience en nous que de penser avec insistance à nos propres transgressions, erreurs et méprises » a-t-il écrit dans « L’archipel du goulag ». « Je me rappelle quand j’étais au QG de mon capitaine, et l’avance de ma batterie à travers la Prusse Orientale livrée aux flammes, et je me dis : ’étions-nous meilleurs qu’eux ?’ »

D’après vous, quel était le principal problème en 1978 en Occident ? Pour Soljenitsyne, « la caractéristique la plus flagrante qu’un observateur extérieur remarque de nos jours en Occident est le déclin du courage. » Mais avant de penser à Jordan Peterson, songez qu’il ne voulait pas tant évoquer la virilité individuelle que la force de volonté dans la vie publique : « le monde occidental a perdu son courage civil, tant collectivement que séparément, dans chaque pays, chaque gouvernement, chaque parti politique, et bien sûr aux Nations Unies. Un tel déclin du courage est particulièrement sensible parmi les dirigeants et l’élite intellectuelle, donnant une impression de perte de courage de toute la société. »

Clairement, Soljenitsyne juge les sociétés en se basant sur les traits de caractère qu’elles favorisent. Effectivement il énumère les vertus cardinales, affirmant que nos succès ont conduit à un déclin moral. Il dénonce « le gouvernement du bien-être », signifiant par là une société vouée uniquement à la prospérité matérielle : « il est devenu possible d’élever des jeunes dans cet idéal, les menant à la splendeur physique, au bonheur, à la possession de biens matériels, d’argent, de loisirs, à un niveau presque illimité de liberté de jouissance. » Alors pourquoi quelqu’un de ce type irait-il risquer sa vie pour un bien supérieur ?

La modération souffre également parce que les libertés sont exploitées sans restriction aucune. Nous bénéficions de plus de liberté pour le mal, mais la liberté de faire le bien existe à peine, dit-il, et ceux qui veulent faire de bonnes choses sont piégés de tous côtés. « Une liberté destructrice et sans limites s’est vu accorder un espace sans limites. La société semble avoir peu des défenses contre les abysses de la décadence humaine tels que, par exemple, le mauvais usage de la liberté dans la violence morale contre la jeunesse, les films regorgeant de pornographie, de crimes et d’horreur. »

Quant à la justice, elle est remplacée par le juridisme : « tout conflit est résolu en suivant la lettre de la loi, et cela est considéré comme étant la solution suprême. Personne ne peut mentionner qu’on puisse ne pas avoir entièrement raison, qu’un peu de retenue est indispensable, ainsi qu’une bonne volonté à renoncer à de tels droits légaux et à se montrer altruiste ; cela sonnerait tout simplement absurde. On ne voit quasiment jamais personne se contraindre volontairement. »

La « culture de mort » ne joue aucun rôle dans le discours, mais une critique de l’avortement pourrait, moyennant une petite retouche, être placée ici. Nous avons tendance à penser que le droit supposé à l’avortement est « une procédure officielle substantielle », le contraire du juridisme. Quiconque accepte l’analyse de Soljenitsyne pourrait cependant dire : « bien sûr c’est mal et cela devrait être interdit. Il est proclamé qu’il doit être autorisé uniquement en raison d’un prétexte légaliste, ’ce que dit la Constitution’. Alors soyons clair et disons-le : ce n’est pas du tout son vrai fondement. »

Il est difficile de le croire de nos jours, mais il était vrai que le « politiquement correct » naissant alors impliquait d’ignorer les maux du communisme : « il y a une interprétation issue d’auto-aveuglement de la situation du monde contemporain, qui agit comme une sorte d’armure pétrifiée autour de l’esprit des gens. Les voix qui s’élèvent de dix-sept pays d’Europe de l’Est et d’Asie de l’Est ne peuvent pas la percer. » Sans même une censure, disait-il, les médias marchaient main dans la main pour préserver ce point de vue.

Ce n’est pas que le libéralisme avait échoué, mais qu’il avait abandonné l’héritage médiéval dont il avait toujours eu besoin. Par conséquent, il a échoué à faire la synthèse des biens matériels et spirituels qui était sa promesse originelle :

Dans la démocratie américaine naissante, tous les droits humains individuels étaient accordés parce que l’homme est une créature de Dieu. Ce qui veut dire que la liberté était donnée à l’individu conditionnellement, en partant du principe de sa responsabilité religieuse indéfectible. Tel était l’héritage du millénaire précédent. Il y a deux cents ans, ou même il y a cinquante ans, il aurait semblé quasi impossible, en Amérique, qu’un individu se voit accorder une liberté sans limites simplement pour satisfaire ses instincts ou ses lubies.

Tant l’Occident que le communisme ont révélé la faillite du matérialisme. Cependant, le chemin à suivre pour l’Occident n’est pas une réforme mais quelque chose de totalement nouveau. Les seules vérités qu’il accepte d’affirmer ouvertement sont « les formules rassies des Lumières », un « dogmatisme social » inadéquat pour relever les défis auxquels nous devons faire face. Soljenitsyne semble être d’accord avec Marx sur un point : le libéralisme est sur un chemin qui conduit inévitablement, premièrement au radicalisme, puis au socialisme et enfin au communisme. « Seule une auto-restriction volontaire et inspirée peut élever l’homme au-dessus du fleuve mondial de matérialisme » mais l’Occident tel qu’actuellement constitué semble manquer des ressources pour ce faire :

« Le monde s’est approché d’un tournant majeur de son histoire, égal en importance à celui qui a fait passer du Moyen-Age à la Renaissance. Il va exiger de nous un regain spirituel, nous allons devoir nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à un nouveau niveau de vie où notre nature physique ne sera pas maudite comme au Moyen-Age, mais, plus important encore, où notre être spirituel ne sera pas foulé au pied comme à l’Epoque Moderne. »
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Michael Pakaluk est professeur à l’école d’économie et de commerce de l’université catholique d’Amérique.


Source: www.france-catholique.fr



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