sábado, 23 de julio de 2016

Pour Cohn-Bendit et pour un certain nombre de mes confrères, la construction européenne n'est pas un fait historique, c'est une religion.


Elisabeth Lévy : « Le peuple, voilà l'ennemi ! »


Par Vincent Tremolet de Villers

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - A l'occasion de la parution du dernier numéro de Causeur, Elisabeth Lévy a accordé un entretien fleuve à FigaroVox. Elle y décrypte les ravages de la défiance mutuelle entre le peuple et les élites sur fond de Brexit et d'attentats.


Elisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Dans son numéro de juillet «Brexit, l'étrange victoire», le magazine revient sur le Brexit, la stupeur des élites, le retour du peuple et l'apocalypse qui n'a pas eu lieu.

Dans votre (savoureux) éditorial vous reprochez à Anne Hidalgo d'avoir rétabli les octrois. Quelques pages plus loin, vous félicitez le prolo anglais d'avoir voté contre «les élites» London-bruxelloises. Vous virez populiste?

Merci pour savoureux! Vous avez raison, l'interdiction des vieilles voitures à Paris et le fanatisme européiste sont deux expressions du mépris prononcé des élites pour le populo qui pense mal, vote mal, vit mal et qui, en prime, sent mauvais. Au mieux des grands enfants qui ne savent pas ce qui est bon pour eux, au pire des barbares qui, avec leurs tas de ferraille pourris, menacent les bronches délicates de nos chérubins élevés bio. Je précise que je suis contre les maladies respiratoires et pour la paix entre les peuples, mais dans les deux cas, Brexit et pseudo mesures anti-pollution, c'est une idéologie qui est à l'œuvre, et cette idéologie s'emploie à détruire tout résidu du passé, qu'il s'agisse des nations ou des bagnoles! Alors vous qualifiez ma critique


«Le peuple n'a pas toujours raison» a dit Daniel Cohn-Bendit au sujet du Brexit…ironique de «populiste», dernière insulte à la mode. C'est marrant, autrefois, défendre les intérêts du populo (alors appelé classe ouvrière), c'était le comble du progressisme. Aujourd'hui, cela signe votre appartenance à la réaction, allez comprendre. En réalité, «populisme» est le nom que la gauche donne au peuple quand le peuple lui déplait. 

Dans notre émission «L'Esprit de l'Escalier» sur RCJ, Alain Finkielkraut a eu la bonne idée d'exhumer le fameux poème de Brecht qu'on cite sans le connaître. Brecht, qui est pourtant communiste, l'écrit pendant la répression de la grève ouvrière de 1953 à Berlin-Est. Il trouve un tract du Parti qui déclare que «le peuple a perdu la confiance du Gouvernement». Et Brecht conseille ironiquement à ce dernier de «dissoudre le peuple et d'en élire un nouveau». Et c'est exactement ce que la gauche essaie de faire depuis trente ans. Le peuple vote mal? Changeons de peuple! Le peuple ne veut pas la poursuite de l'immigration massive? Changeons de peuple! Le peuple a peur de l'islam? Changeons de peuple! Le peuple veut rester un peuple? Changeons de peuple!

Autrement dit, la gauche, représentante autoproclamée du peuple, ne se demande jamais comment répondre à ses aspirations ou inquiétudes mais comment lui faire entendre raison, enfin c'est une façon de parler, car elle utilise plutôt le prêchi-prêcha, l'invective et le chantage. Dans le cas du Brexit on aura tout eu: si vous votez «oui» vous irez en enfer ; puis, ce sont les vieux, les bouseux alcooliques (et les consanguins, non?) qui ont voté Brexit ; et enfin, ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient, la preuve ils ont changé d'avis. Quand un peuple dit «non», c'est «oui», on connaît la musique….

Quel aveu! Désolée, mais si, en démocratie, le moins pire des systèmes comme on le sait, le peuple a par principe raison. Voilà pourquoi la destruction de l'école, sous de fallacieux prétextes égalitaires, est dangereuse: si le peuple a raison, il vaut mieux qu'il soit éclairé et capable de se forger une opinion autonome, on sait ça depuis Condorcet. 

Au passage, puisque c'est toujours cet exemple que Cohn-Bendit et les autres sont prêts à abattre sur la tête de l'électeur récalcitrant, si le peuple décide démocratiquement d'amener Hitler au pouvoir, il est déjà trop tard. Du reste, ce n'est pas ce qui s'est passé en 1933, d'abord parce qu'Hitler n'a pas obtenu la majorité, ensuite parce que l'atmosphère pré-terroriste de la campagne était tout sauf démocratique. Rappelons cependant que le peuple britannique n'a pas voté pour l'arrivée de Hitler au pouvoir, ni même pour «sortir de l'Europe» comme l'a annoncé Le Monde, mais pour quitter l'Union européenne. 

Alors revenons sur terre. Il me semble à moi que ce que l'histoire a fait, l'histoire doit pouvoir le défaire et qu'il ne faut peut-être pas en faire un tel plat. Du reste, avez-vous remarqué comme depuis l'attentat de Nice, le Brexit apparaît comme beaucoup moins cataclysmique? Seulement, pour Cohn-Bendit et pour un certain nombre de mes confrères, la construction européenne n'est pas un fait historique, c'est une religion. 

Le vote britannique aura au moins eu le mérite de leur faire avouer qu'ils ne sont pas démocrates. C'est leur droit. Mais quand on se rappelle que les mêmes, quelques semaines plus tôt, rivalisaient dans l‘attendrissement et l'admiration pour Nuit debout et ses merveilleuses logorrhées citoyennes, on peut au moins exploser de rire. Leurs contorsions pour expliquer que, finalement, la démocratie participative c'est chouette mais qu'il ne faut pas en abuser, m'ont fait passer quelques bons moments.

La dichotomie peuple/élites vous parait-elle pertinente?

Elle n'est pas l'alpha et l'oméga de tout mais dans une démocratie représentative, il y a par définition des gouvernés et des gouvernants. Et puis, il existe ce qu'on appelle une classe dirigeante, constituée d'élites économiques, intellectuelles et surtout médiatiques. 

L'une des caractéristiques de la période contemporaine est «Danse-t-on sur les ruines?» écrivez-vous justement. Doit-on se réjouir du désordre et des incertitudes politiques? 

Ce n'est pas un jeu!sans doute que les journalistes et autres médiacrates ont pris la place des écrivains et de penseurs, en termes de pouvoir et de statut social - et ce n'est pas une bonne nouvelle. Par ailleurs, si on repense à La trahison des clercs de Benda et surtout à L'étrange défaite, le magnifique livre de Marc Bloch sur l'origine de la défaite de 1940, il apparaît que les grands désastres historiques plongent souvent leur racine dans la faillite des élites. Cela ne signifie certes pas que le peuple est toujours bon et le pouvoir toujours mauvais. N'empêche, quand vous avez étudié dans les meilleures écoles, qu'on vous a confié des charges publiques ou privées, bref que l'on vous a fait confiance, cela devrait obliger. Or, je le répète, ce qu'on voit de plus en plus, ce sont des élites hors sol, qui méprisent ou ignorent ceux qu'elles prétendent diriger. Alors quand, au matin du 23 juin, j'ai vu la tête effarée de certains confrères, comme l'inénarrable Jean Quatremer, représentant de la Commission à Libération, découvrant que plus personne ne les écoutait plus et que leurs procès en sorcellerie faisaient rigoler tout le monde, j'ai immédiatement pensé: Ich bin ein Brexiter! Ce doit être mon côté populiste. Nos élites ne comprennent rien? Changeons-en! D'ailleurs, une bonne partie du peuple n'a pas demandé la permission pour préférer Polony ou Zemmour aux gauchistes qui pullulent dans nos universités et les colonnes de nos journaux….

D'abord, je le répète, après l'attentat de Nice et le vrai-faux coup d'Etat turc, le Brexit semble un peu moins cataclysmique que le 24 juin. Et puis, où sont les ruines? L'Angleterre n'a pas coulé, la City n'a pas disparu, les traders français n'ont pas été boutés hors de Londres. 


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