sábado, 20 de febrero de 2016

« La France sera chrétienne jusqu’à la fin des temps... souvent elle tombera, mais chaque fois Dieu la relèvera.. ».




Un lecteur du SB (merci MV) a réalisé un entretien avec Jean François Chemain. Le voici :

Vous enseignez dans une Zone d’Education Prioritaire, quelles ont été les réactions dans vos classes suite aux attentats du 13 novembre ?

Les élèves étaient très choqués et inquiets pour l’avenir, même si une toute petite minorité faisaient les malins en prenant des postures de guérilleros. Ce qu’il faut bien savoir, c’est que ces enfants – ils ont entre 11 et 14 ans – sont encore très malléables, leurs idées ne sont pas construites, même s’ils sont soumis à des influences familiales, sociales, religieuses... Il en faudrait peu pour que le plus grand nombre « tombe » du bon côté, celui de l’amour de la France... Il leur suffirait des maîtres en qui ils aient confiance et qui se donneraient pour mission de le leur transmettre.

Quelle est la place de l’islam dans votre établissement et comment cela se manifeste-t-il ?

L’islam est omniprésent, c’est le seul lien entre des enfants d’origine très diverse – Maghreb, Turquie, Balkans, Afrique subsaharienne, et même Français convertis, qui sont nombreux : il joue le rôle que voudrait jouer la « République », mais elle est à leurs yeux un concept abstrait alors que l’islam s’incarne dans une multitude de codes, de pratiques... C’est aussi le principal vecteur de contestation d’une institution – le collège – qui ne fait pas grand chose pour se faire aimer : collège unique qui emprisonne jusqu’à 16 ans ceux qui rêvent d’aller travailler, comme on pouvait le faire de mon temps à partir de 12 ans, intrusions « laïques » dans la conscience des jeunes en leur faisant la promotion de la contraception, de l’IVG, programmes scolaires privilégiant l’autoflagellation au nom de la colonisation, de l’esclavage, de la Shoah... Les élèves jurent en permanence sur La Mecque et le Coran, se croient obligés de tomber, « à tout bout de champ », dans des surenchères destinées à se prouver les uns aux autres qu’ils « en sont », le prosélytisme est omniprésent et « naturel », touchant aussi bien les autres élèves que les enseignants – j’en ai été plusieurs fois l’objet... L’islam occupe, la plupart du temps sans aucune agressivité, mais « gentiment », tout l’espace.

Vous êtes dans un établissement public, comment envisagez-vous la laïcité et son enseignement au public qui est le vôtre ?

Qu’appelle-t-on « laïcité » ? La vraie laïcité ou le laïcisme sectaire qui est la conception de l’Education Nationale ? J’ai montré dans mon livre Une autre Histoire de la Laïcité quecelle-ci n’est pas, comme on nous le raconte, et comme on voudrait que je le raconte, le combat bicentenaire de l’Etat pour se libérer de la tutelle de l’Eglise, sous l’influence des Lumières, mais au contraire le combat bimillénaire de l’Eglise pour échapper à la sacralisation de l’Etat qui veut instrumentaliser la religion comme outil de cohésion sociale et d’accès aux consciences, les Lumières ayant été un pas de plus dans cette conception. Mes élèves, qui sont loin d’être idiots, perçoivent souvent le discours scolaire sur la laïcité comme un christianisme qui n’ose pas dire son nom , ce en quoi ils ont raison, car dire « nous sommes laïcs » c’est dire nous sommes de civilisation, de culture chrétienne. Ils le voient aussi comme une forme d’islamophobie cachée, et là encore ils n’ont pas tort, car l’anthropologie qui sous-tend nos valeurs « républicaines » est chrétienne, et s’oppose sur certains points à celle de l’islam. Prenons un exemple : le judaïsme pose des interdits alimentaires, l’islam aussi – à peu près les mêmes – tandis que le christianisme les rejette expressément (Matthieu 15, 11). Dire que tout le monde doit manger la même chose à la cantine, ce n’est pas « neutre », c’est chrétien. Je crois que ça soulagerait les élèves d’entre ce discours de vérité, mais j’ignore dans quelle mesure on est en droit de le tenir, tant la position de l’Education Nationale en est éloignée.

Vous avez écrit un livre sur la vocation chrétienne de la France, pensez-vous que la France fille aînée de l’église soit toujours d’actualité ?

J’ai montré dans ce livre que, si la France a bien été appelée « fille aînée de l’Eglise » par de nombreux papes, elle a régulièrement tenté de se soustraire à ce fardeau. Notre pays semble souffrir d’un « complexe de Jocaste », qui est celui du meurtre de la mère pour prendre sa place : il se positionne en contre-Eglise, qui aurait pour mission de répandre la « bonne parole » des « valeurs républicaines » dans le monde, tout en réduisant l’Eglise au silence. J’ai montré dans une récente tribune publiée dans le Figaro Magazine que nos « clercs » (politiques, journalistes, intellectuels...) se prennent souvent pour des « curés », au mauvais sens du terme, donneurs de leçons, inquisiteurs et volontiers tartuffes.

Quelle est la place de l’islam dans une telle perspective ?

Il vient compter les points dans une querelle de famille millénaire. Il sert en effet l’Etat dans sa lutte contre l’Eglise, en l’obligeant à « taper » sur elle pour ne pas avoir l’air de ne le faire que sur lui, et aussi en lui permettant de relativiser l’influence de celle-ci, reléguée au rang de l’une des « autorités religieuses » du pays. Mais il ne voit pas que, ce faisant, c’est la racine même des « valeurs républicaines » qu’il scie.

Etes-vous confiant dans l’avenir de la France à court et long terme ?

A court terme, je ne suis pas du tout confiant, je suis même désespéré. Nos « clercs » sont à des années-lumière d’adhérer à cette vision en vérité de la France et de sa relation avec l’Eglise catholique, qui l’a pourtant faite ce qu’elle est, préférant laisser la place au « tout autre »... Le prix à payer pour autant d’erreurs et de mensonge sera forcément très lourd. Je m’attends à un « pire » qui dépasse l’imagination... A long terme, je suis pris entre le « vieil homme » qui a fait une thèse d’Histoire romaine, et une autre de Droit romain, et qui sait donc bien que les civilisations millénaires, et qui se croient éternelles, peuvent en quelques décennies disparaître à tout jamais, et ne plus valoir, comme Byzance, que 3 heures de cours dans le programme d’Histoire de 6ème... Et « l’homme nouveau », qui se souvient du Testament de saint Rémi : « la France sera chrétienne jusqu’à la fin des temps... souvent elle tombera, mais chaque fois Dieu la relèvera.. ».

Vous avez récemment publié votre thèse d’Histoire consacrée à la pratique du cautionnement à Rome sous le titre « l’argent des autres », sujet en apparence bien aride. Avez-vous cependant pu y trouver des éléments en lien avec vos réflexions sur la France, la chrétienté ou la laïcité ?

Ce sujet de la pratique du cautionnement à Rome peut en effet paraître aride, mais il n’en est rien. J’ai été passionné de découvrir que les Romains de la République finissante y avaient largement recours pour financer les nombreux dysfonctionnements de leur époque : surendettement des familles, et surtout des hommes d’Etat, mainmise des hommes d’affaires sur la politique, afin de mettre la main sur les marchés publics, et d’influencer la politique étrangère de Rome dans le sens de leurs intérêts, corruption électorale, détournement de l’intérêt du peuple vers les jeux qu’on payait à crédit, achat des soutiens dans une interminable succession de guerres civiles qui conduisit les Romains, inventeurs de la République, à y renoncer pour retrouver la paix et la prospérité... C’est tout cela que raconte L’Argent des Autres...

Biographie

Né en 1961, Jean-François Chemain est diplômé de l'IEP de Paris, docteur en Droit, agrégé et docteur en Histoire. Il a exercé pendant une dizaine d'années le métier de consultant international dans plusieurs cabinets anglo-saxons, avant de devenir cadre dirigeant dans un grand groupe industriel français. Depuis 2006, il a choisi d'enseigner l'Histoire, la Géographie et l'Éducation Civique dans un collège de ZEP. Il a été fait chevalier de l'ordre national du Mérite en 2012. Jean-François Chemain a publié La vocation chrétienne de la France en 2010, Kiffe la France en 2011, Une autre histoire de la laïcité en 2013 et L'argent des autres, en 2015 aux Editions Via Romana

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