miércoles, 16 de julio de 2014

Pourquoi le 14 juillet est devenu notre fête nationale ? Depuis quand ? L'historien Jean Sévillia nous raconte les dessous de cet évènement symbolique et les enjeux de sa commémoration.


La prise de la Bastille n'avait rien de spontané


Jean Sévillia, rédacteur en chef adjoint du Figaro magazine et écrivain, évoque les vérités du 14 juillet

Extraits :
"[...] La loi promulguée le 6 juillet 1880 annonce que «la République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle». Le choix de cette date, en réalité, ratifie une pratique antérieure du parti républicain, mais en jouant sur la double signification du 14 juillet: les radicaux commémorent la prise de la Bastille (14 juillet 1789), tandis que les modérés, à qui la violence révolutionnaire fait peur, préfèrent se souvenir de la Fête de la Fédération (14 juillet 1790). [...] 
Le 12 juillet 1789, Camille Desmoulins appelle les Parisiens à prendre les armes. Le 14 juillet au matin, quelques milliers d'émeutiers envahissent les Invalides, et prennent armes et canons. A l'autre bout de Paris, la Bastille, prison d'Etat dénoncée par les libellistes comme un symbole de l'arbitraire royal, est assaillie non par la population spontanément mobilisée, mais par une bande d'agitateurs qui ont préparé l'opération. 
De l'édifice sont extraits, en fait de victimes de l'absolutisme, sept prisonniers, dont quatre faussaires, deux fous et un débauché. Le gouverneur Launey, qui a capitulé devant l'émeute et qui a été conduit à l'Hôtel de Ville, est assassiné avec Flesselles, le prévôt des marchands, leurs corps étant dépecés et leurs têtes placées au bout d'une pique. 83 assaillants ont péri dans l'assaut. Le premier sang de la Révolution a coulé. L'opération a été orchestrée, mais elle a revêtu tout de suite un sens politique et une dimension symbolique. [...]"

Addendum. Un lecteur me communique un extrait du Journal de Palloy, entrepreneur, 13 juillet 1789 à dix heures du soir :
"Ce matin à 11 heures j’ai assisté à la grande réunion des frères dans l’église Saint-Antoine. C’est Dufour officier du Grand Orient qui présida avec un député de la loge Modération de l’Orient de Paris. Nous y avons décidé qu’une insurrection populaire commencera dans le faubourg Saint-Antoine. Ils espèrent en faire une révolution... on verra.
Le frère marquis de la Salle me promet de me mettre au courant. Il prétend que je dois me tenir prêt avec mes ouvriers pour aller démolir la Bastille. Depuis si longtemps que je l’attends ce sacré chantier.
D’après Guy Breton, Les Beaux Mensonges de l’Histoire, Paris, Le Pré aux Clercs, 1999, 245 p., p. 121.
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Depuis quand et pourquoi le 14 juillet est-il devenu notre fête nationale? Que commémore-t-on exactement?

Jean Sévillia: C'est en 1880 que le 14 juillet est devenu fête nationale. Reprenons le contexte. En 1871, après l'effondrement du Second Empire et la défaite face aux Prussiens, se met en place, avec une majorité royaliste élue au suffrage universel, un régime d'attente, fait pour préparer la restauration de la monarchie, restauration qui n'aura pas lieu en raison de la division entre légitimistes et orléanistes et du refus du comte de Chambord, l'aîné des Bourbons, de composer avec les principes issus de la Révolution. Faute de roi s'installe une République

Le 15 août était donc la fête nationale de la France sous Napoléon III

conservatrice, la République des ducs (Mac-Mahon, Broglie, etc.) En 1876, les républicains de conviction obtiennent la majorité à l'Assemblée. En 1877, ils forcent le Président conservateur, Mac-Mahon, à se soumettre en acceptant la prééminence du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif. En 1879, le Sénat passe aux républicains et Mac-Mahon démissionne. Commence alors la République des Jules (Simon, Grévy, Ferry), la République des républicains.

Sous le Second Empire, on fêtait la Saint-Napoléon le 15 août, date de l'Assomption, grande fête mariale dans l'Eglise catholique, fête confortée, en 1854 par la proclamation du dogme de l'Immaculée-Conception par le pape Pie IX. Le 15 août était donc la fête nationale de la France sous Napoléon III. Symboliquement, quand ils arrivent au pouvoir, en 1879, les républicains veulent donc instaurer une fête nationale qui soit en accord avec le projet politique dont ils sont porteurs: républicaniser la France, la couper de l'influence de l'Eglise. Depuis 1872, le parti républicain organisait des manifestations privées à la date du 14 juillet. Lors d'un discours prononcé le 14 juillet 1872 à la Ferté-sous-Jouarre, Gambetta avait ainsi exalté le souvenir de la prise de la Bastille, affirmant que le peuple de Paris ne s'était pas levé «pour renverser une Bastille de pierre, mais pour détruire la véritable Bastille: le Moyen-Age, le despotisme, l'oligarchie, la royauté».

La loi promulguée le 6 juillet 1880 annonce que «la République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle». Le choix de cette date, en réalité, ratifie une pratique antérieure du parti républicain, mais en jouant sur la double signification du 14 juillet: les radicaux commémorent la prise de la Bastille (14 juillet 1789), tandis que les modérés, à qui la violence révolutionnaire fait peur, préfèrent se souvenir de la Fête de la Fédération (14 juillet 1790).

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  • Dès lors, ce choix fera-t'il l'objet d'un consensus? ...
  • On a fait de la prise de la Bastille l'élément fondateur marquant le début de la Révolution française. Est-ce vrai? Est-ce réellement la borne qui marque «le début de la fin d'un monde»? ...
  • La prise de la Bastille était-elle un mouvement populaire spontané, une révolte plébéienne contre l'arbitraire, ou bien une manipulation des masses orchestrée par le haut? ....
  • On évoque souvent les mots de Louis XVI dans son journal le jour de cet événement historique: 14 juillet: rien, pour montrer l'aveuglement et la nonchalance du roi. Comment se fait-il que ce dernier ne se soit pas rendu compte de l'importance de l'évènement? ...
  • Le 14 juillet peut-il être le moment permettant la réconciliation des deux histoires de France, révolutionnaire et contre-révolutionnaire, dans la «République, notre royaume de France» chère à Péguy? ...
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