L’ultime combat de Charles Péguy
Par Claire L'Hoër
Samedi 5 septembre 1914. Le régiment de Péguy est aux portes de l’Île-de-France. Les Allemands viennent de conduire une contre-attaque générale. Péguy va être tué. Le lendemain commence la bataille de la Marne.
Il met à profit les deux dernières journées de liberté qui s’offrent à lui. De son pas de marcheur, il rend une dernière visite à ses amis… et à ses ennemis. Ses affaires doivent être en ordre avant le grand départ. Au cours d’un long conciliabule, il confie ses enfants à Henri Bergson, son maître en philosophie, “au cas où il ne reviendrait pas”.
Bergson incarne pour lui la philosophie française renouvelée face à une école allemande omnipotente depuis Kant et Hegel. À Pierre-Marcel Lévi, auquel un vif désaccord l’avait opposé à propos du service militaire de trois ans, et qui lui dit : « Tu as une femme, des enfants et tu peux toi-même être tué », il répond d’un ton sec : « Je m’en fous ! » Sa brouille avec Jean Jaurès ne peut être levée : le tribun est mort assassiné le vendredi précédent. Quant au jeune romancier Alain-Fournier, il a déjà rejoint son régiment.
Revenu une dernière fois dans la boutique des Cahiers de la quinzaine, la revue qu’il a fondée en 1900, Charles Péguy regarde les piles alignées sur les étagères. Elles sont le témoin de toutes les luttes qu’il a menées depuis quinze ans. Car il en a livré des combats, il en a ressenti des révoltes, au prix de ruptures avec d’anciens amis ou de rapprochements inattendus. À la fois intransigeant et généreux, Péguy sait aussi bien aiguiser sa plume que reconnaître ses erreurs. Sa conversion religieuse tardive en 1908, à l’âge de 35 ans, en est la preuve. Et elle ne l’empêche pas de ferrailler contre le Vatican et les dévots au nom de la foi du charbonnier.
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